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APOSTAT.

faits et les raisons. Le Dictionnaire de Trévoux, fait en partie par les jésuites, s’exprime ainsi : « Quand les juges veulent favoriser une méchante cause, ils sont d’avis de l’apointer au lieu de la juger. »

Ils espéraient qu’on apointerait leur cause dans l’affaire de leur banqueroute[1], qui leur procura leur expulsion. L’avocat qui plaidait contre eux trouva heureusement leur explication du mot apointer ; il en fit part aux juges dans une de ses oraisons. Le parlement, plein de reconnaissance, n’apointa point leur affaire ; il fut jugé à l’audience que tous les jésuites, à commencer par le père général, restitueraient l’argent de la banqueroute, avec dépens, dommages et intérêts. Il fut jugé depuis qu’ils étaient de trop dans le royaume ; et cet arrêt, qui était pourtant un apointé, eut son exécution avec grands applaudissements du public.


APOSTAT[2].


C’est encore une question parmi les savants, si l’empereur Julien était en effet apostat, et s’il avait jamais été chrétien véritablement.

Il n’était pas âgé de six ans lorsque l’empereur Constance, plus barbare encore que Constantin, fit égorger son père et son frère et sept de ses cousins germains. À peine échappa-t-il à ce carnage avec son frère Gallus ; mais il fut toujours traité très-durement par Constance. Sa vie fut longtemps menacée ; il vit bientôt assassiner, par les ordres du tyran, le frère qui lui restait. Les sultans turcs les plus barbares n’ont jamais surpassé, je l’avoue à regret, ni les cruautés ni les fourberies de la famille Constantine. L’étude fut la seule consolation de Julien dès sa plus tendre jeunesse. Il voyait en secret les plus illustres philosophes, qui étaient de l’ancienne religion de Rome. Il est bien probable qu’il ne suivit celle de son oncle Constance que pour éviter l’assassinat. Julien fut obligé de cacher son esprit, comme avait fait Brutus sous Tarquin. Il devait être d’autant moins chrétien que son oncle l’avait forcé à être moine, et à faire les fonctions de lecteur dans l’église. On est rarement de la religion de

  1. Voyez le chapitre lxviii de l’Histoire du Parlement. La phrase du Dictionnaire de Trévoux, que Voltaire cite un peu plus haut, existe dans les éditions de 1704, 1732, 1743, 1752 ; mais elle a été supprimée dans l’édition de 1771, publiée depuis la remarque de Voltaire. (B.)
  2. Questions sur l’Encyclopédie, seconde partie, 1770. (B.)