Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome17.djvu/333

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
313
APOCRYPHES.

lesse était fraîche, et elle n’était vieille que parce qu’elle avait été créée dès le commencement du monde, et que le monde avait été fait pour elle.

Le livre des Préceptes contient moins d’allégories ; mais celui des Similitudes en contient beaucoup.

« Un jour que je jeûnais, dit Hermas, et que j’étais assis sur une colline, rendant grâces à Dieu de tout ce qu’il avait fait pour moi, un berger vint s’asseoir à mes côtés, et me dit : « Pourquoi êtes-vous venu ici de si bon matin ? — C’est que je suis en station, lui répondis-je — Qu’est-ce qu’une station ? me dit le berger. — C’est un jeûne. — Et qu’est-ce que ce jeûne ? — C’est ma coutume. — Allez, me répliqua le berger, vous ne savez ce que c’est que de jeûner : cela ne fait aucun profit à Dieu ; je vous apprendrai ce que c’est que le vrai jeûne agréable à la Divinité[1]. Votre jeûne n’a rien de commun avec la justice et la vertu. Servez Dieu d’un cœur pur, gardez ses commandements ; n’admettez dans votre cœur aucun désir coupable. Si vous avez toujours la crainte de Dieu devant les yeux, si vous vous abstenez de tout mal, ce sera là le vrai jeûne, le grand jeûne dont Dieu vous saura gré. »

Cette piété philosophique et sublime est un des plus singuliers monuments du ier siècle. Mais ce qui est assez étrange, c’est qu’à la fin des Similitudes le berger lui donne des filles très-affables, valde affabiles, chastes et industrieuses, pour avoir soin de sa maison, et lui déclare qu’il ne peut accomplir les commandements de Dieu sans ces filles, qui figurent visiblement les vertus.

Ne poussons pas plus loin cette liste, elle serait immense si on voulait entrer dans tous les détails. Finissons par les Sibylles.

XXX.

Les Sibylles. Ce qu’il y eut de plus apocryphe dans la primitive Église, c’est la prodigieuse quantité de vers attribués aux anciennes sibylles en faveur des mystères de la religion chrétienne. Diodore de Sicile[2] n’en reconnaissait qu’une, qui fut prise dans Thèbes par les Épigones, et qui fut placée à Delphes avant la guerre de Troie. De cette sibylle, c’est-à-dire de cette prophétesse, on en fit bientôt dix. Celle de Cumes avait le plus grand crédit chez les Romains, et la sibylle Érythrée chez les Grecs.

Comme tous les oracles se rendaient en vers, toutes les sibylles

  1. Similit. 5e, livre III. (Note de Voltaire.)
  2. Diodore, livre IV. (Id.)