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ABC, OU ALPHABET.


de l’art n’étaient pas encore connues de son temps, et Homère était au-dessus de ces finesses ; mais ses vers les plus harmonieux sont ceux qui sont composés d’un assemblage heureux de voyelles et de consonnes. C’est ce que Boileau recommande dès le premier chant de l’Art poétique.

La lettre A chez presque toutes les nations devint une lettre sacrée, parce qu’elle était la première ; les Égyptiens joignirent cette superstition à tant d’autres : de là vient que les Grecs d’Alexandrie l’appelaient hier’alpha ; et comme oméga était la dernière lettre, ces mots alpha et oméga signifièrent le complément de toutes choses. Ce fut l’origine de la cabale et de plus d’une mystérieuse démence.

Les lettres servaient de chiffres et de notes de musique ; jugez quelle foule de connaissances secrètes cela produisit : a, b, c, d, e, f, g, étaient les sept cieux. L’harmonie des sphères célestes était composée des sept premières lettres, et un acrostiche rendait raison de tout dans la vénérable antiquité.

ABC, OU ALPHABET[1].


Si M. Dumarsais vivait encore, nous lui demanderions le nom de l’alphabet. Prions les savants hommes qui travaillent à l’Encyclopédie de nous dire pourquoi l’alphabet n’a point de nom dans aucune langue de l’Europe. Alphabet ne signifie autre que A B, et A B ne signifie rien, ou tout au plus il indique deux sons, et ces deux sons n’ont aucun rapport l’un avec l’autre. Beth n’est point formé d’Alpha, l’un est le premier, l’autre le second ; et on ne sait pas pourquoi.

Or, comment s’est-il pu faire qu’on manque de termes pour exprimer la porte de toutes les sciences ? La connaissance des nombres, l’art de compter, ne s’appelle point un-deux ; et le rudiment de l’art d’exprimer ses pensées n’a dans l’Europe aucune expression propre qui le désigne.

L’alphabet est la première partie de la grammaire ; ceux qui possèdent la langue arabe, dont je n’ai pas la plus légère notion, pourront m’apprendre si cette langue, qui a, dit-on, quatre-vingts mots pour signifier un cheval, en aurait un pour signifier l’alphabet.

Je proteste que je ne sais pas plus le chinois que l’arabe ; cepen-

  1. Questions sur l’Encyclopédie, première partie, 1770. (B.)