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APOCALYPSE.

Si Justin est le premier qui attribua l’Apocalypse à saint Jean, quelques personnes ont récusé son témoignage, attendu que dans ce même dialogue avec le juif Tryphon il dit que, selon le récit des apôtres, Jésus-Christ, en descendant dans le Jourdain, fit bouillir les eaux de ce fleuve, et les enflamma ; ce qui pourtant ne se trouve dans aucun écrit des apôtres.

Le même saint Justin[1] cite avec confiance les oracles des sibylles ; de plus, il prétend avoir vu les restes des petites-maisons où furent enfermés les soixante et douze interprètes dans le phare d’Égypte du temps d’Hérode. Le témoignage d’un homme qui a eu le malheur de voir ces petites-maisons semble indiquer que l’auteur devait y être renfermé.

Saint-Irénée, qui vient après, et qui croyait aussi le règne de mille ans, dit qu’il a appris d’un vieillard que saint Jean avait fait l’Apocalypse[2]. Mais on a reproché à saint Irénée d’avoir écrit qu’il ne doit y avoir que quatre Évangiles, parce qu’il n’y a que quatre parties du monde et quatre vents cardinaux, et qu’Ézéchiel n’a vu que quatre animaux. Il appelle ce raisonnement une démonstration. Il faut avouer que la manière dont Irénée démontre vaut bien celle dont Justin a vu.

Clément d’Alexandrie ne parle, dans ses Électa, que d’une Apocalypse de saint Pierre dont on faisait très-grand cas. Tertullien, l’un des grands partisans du règne de mille ans, non-seulement assure que saint Jean a prédit cette résurrection et ce règne de mille ans dans la ville de Jérusalem, mais il prétend que cette Jérusalem commençait déjà à se former dans l’air ; que tous les chrétiens de la Palestine, et même les païens, l’avaient vue pendant quarante jours de suite à la fin de la nuit ; mais malheureusement la ville disparaissait dès qu’il était jour.

Origène, dans sa préface sur l’Évangile de saint Jean, et dans ses Homélies, cite les oracles de l’Apocalypse ; mais il cite également les oracles des sibylles. Cependant saint Denis d’Alexandrie, qui écrivait vers le milieu du iiie siècle, dit, dans un de ses fragments conservés par Eusèbe[3] que presque tous les docteurs rejetaient l’Apocalypse comme un livre destitué de raison ; que ce livre n’a point été composé par saint Jean, mais par un nommé Cérinthe, lequel s’était servi d’un grand nom pour donner plus de poids à ses rêveries.

  1. Oratio ad Græcos.
  2. Livre V, chapitre xxxiii.
  3. Histoire de l’Église, livre VII, chapitre xxv. (Note de Voltaire.)