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ANTIQUITÉ.

qu’il y eut des brigands gaulois qui allèrent piller Rome du temps de Camille, D’autres brigands des Gaules avaient passé, dit-on, par l’Illyrie, pour aller louer leurs services de meurtriers à d’autres meurtriers, vers la Thrace ; ils échangèrent leur sang contre du pain, et s’établirent ensuite en Galatie. Mais quels étaient ces Gaulois ? étaient-ce des Bérichons et des Angevins ? Ce furent sans doute des Gaulois que les Romains appelaient Cisalpins, et que nous nommons Transalpins, des montagnards affamés, voisins des Alpes et de l’Apennin. Les Gaulois de la Seine et de la Marne ne savaient pas alors si Rome existait, et ne pouvaient s’aviser de passer le mont Cenis, comme fit depuis Annibal, pour aller voler les garde-robes des sénateurs romains, qui avaient alors pour tous meubles une robe d’un mauvais drap gris, ornée d’une bande couleur de sang de bœuf ; deux petits pommeaux d’ivoire, ou plutôt d’os de chien, aux bras d’une chaise de bois ; et dans leurs cuisines, un morceau de lard rance.

Les Gaulois, qui mouraient de faim, ne trouvant pas de quoi manger à Rome, s’en allèrent donc chercher fortune plus loin, ainsi que les Romains en usèrent depuis quand ils ravagèrent tant de pays l’un après l’autre ; ainsi que firent ensuite les peuples du Nord, quand ils détruisirent l’empire romain.

Et par qui encore est-on très-faiblement instruit de ces émigrations? C’est par quelques lignes que les Romains ont écrites au hasard : car pour les Celtes, Welches ou Gaulois, ces hommes qu’on veut faire passer pour éloquents ne savaient alors, eux et leurs bardes[1] ni lire ni écrire.

Mais inférer de là que les Gaulois ou Celtes, conquis depuis par quelques légions de César, et ensuite par une horde de Goths, et puis par une horde de Bourguignons, et enfin par une horde de Sicambres sous un Clodivic, avaient auparavant subjugué la terre entière, et donné leurs noms et leurs lois à l’Asie, cela me paraît bien fort : la chose n’est pas mathématiquement impossible ; et si elle est démontrée, je me rends : il serait fort incivil de refuser aux Welches ce qu’on accorde aux Tartares.

  1. Bardes, bardi ; recitantes carmina bardi ; c’étaient les poètes, les philosophes des Welches. (Note de Voltaire.)