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ANTIQUITÉ.

mière. Pourquoi encore vouloir mettre à la place des rêveries de Lucrèce les rêveries de Descartes ?

Le cardinal de Polignac a inséré dans son poëme de très-beaux vers sur les découvertes de Newton ; mais il y combat, malheureusement pour lui, des vérités démontrées. La philosophie de Newton ne soutire guère qu’on la discute en vers ; à peine peut-on la traiter en prose ; elle est toute fondée sur la géométrie. Le génie poétique ne trouve point là de prise. On peut orner de beaux vers l’écorce de ces vérités ; mais pour les approfondir il faut du calcul, et point de vers.


ANTIQUITÉ.
SECTION PREMIÈRE[1].


Avez-vous quelquefois vu dans un village Pierre Aoudri et sa femme Péronelle vouloir précéder leurs voisins à la procession ? « Nos grands-pères, disent-ils, sonnaient les cloches avant que ceux qui nous coudoient aujourd’hui fussent seulement propriétaires d’une étable. »

La vanité de Pierre Aoudri, de sa femme, et de ses voisins, n’en sait pas davantage. Les esprits s’échauffent. La querelle est importante ; il s’agit de l’honneur. Il faut des preuves. Un savant qui chante au lutrin découvre un vieux pot de fer rouillé, marqué d’un A, première lettre du nom du chaudronnier qui fit ce pot. Pierre Aoudri se persuade que c’était un casque de ses ancêtres.

Ainsi César descendait d’un héros et de la déesse Vénus. Telle est l’histoire des nations ; telle est, à peu de chose près, la connaissance de la première antiquité.

Les savants d’Arménie démontrent que le paradis terrestre était chez eux. De profonds Suédois démontrent qu’il était vers le lac Vener, qui en est visiblement un reste. Des Espagnols démontrent aussi qu’il était en Castille ; tandis que les Japonais, les Chinois, les Tartares, les Indiens, les Africains, les Américains, sont assez malheureux pour ne savoir pas seulement qu’il y eut jadis un paradis terrestre à la source du Phison, du Gehon, du Tigre et de l’Euphrate, ou bien à la source du Guadalquivir, de la Guadiana, du Duero et de l’Èbre : car de Phison on fait aisément Phætis ; et

  1. Questions sur l’Encyclopédie, première partie, 1770. L’article y contenait les cinq sections. (B.)