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ANTI-LUCRÈCE.

solere abscindere, et has solas ciborum delicias arbitrari ! ― Que vous dirai-je des autres nations, puisque moi-même, étant encore jeune, j’ai vu des Écossais dans la Gaule, qui, pouvant se nourrir de porcs et d’autres animaux dans les forêts, aimaient mieux couper les fesses des jeunes garçons et les tétons des jeunes filles ! C’étaient pour eux les mets les plus friands. »

Pelloutier, qui a recherché tout ce qui pouvait faire le plus d’honneur aux Celtes, n’a pas manqué de contredire saint Jérôme, et de lui soutenir qu’on s’était moqué de lui. Mais Jérôme parle très-sérieusement ; il dit qu’il a vu. On peut disputer avec respect contre un Père de l’Église sur ce qu’il a entendu dire ; mais sur ce qu’il a vu de ses yeux, cela est bien fort. Quoi qu’il en soit, le plus sûr est de se défier de tout, et de ce qu’on a vu soi-même.

[1] Encore un mot sur l’anthropophagie. On trouve dans un livre[2] qui a eu assez de succès chez les honnêtes gens ces paroles ou à peu près :

Du temps de Cromwell une chandelière de Dublin vendait d’excellentes chandelles faites avec de la graisse d’Anglais. Au bout de quelque temps un de ses chalands se plaignit de ce que sa chandelle n’était plus si bonne. « Monsieur, lui dit-elle, c’est que les Anglais nous ont manqué ? »

Je demande qui était le plus coupable, ou ceux qui assassinaient des Anglais, ou la pauvre femme qui faisait de la chandelle avec leur suif ? Je demande encore quel est le plus grand crime, ou de faire cuire un Anglais pour son dîner, ou d’en faire des chandelles pour s’éclairer à souper ? Le grand mal, ce me semble, est qu’on nous tue. Il importe peu qu’après notre mort nous servions de rôti ou de chandelle ; un honnête homme même n’est pas fâché d’être utile après sa mort.


ANTI-LUCRÈCE[3].


La lecture de tout le poëme de feu M. le cardinal de Polignac m’a confirmé dans l’idée que j’en avais conçue lorsqu’il m’en lut le premier chant. Je suis encore étonné qu’au milieu des dissi-

  1. Ce qui suit fut ajouté en 1774 dans l’édition in-4o. (B.)
  2. Le Dictionnaire philosophique. Voyez la note 3 de la page 264.
  3. Cet article, publié on 1748 dans le tome VI des Œuvres de Voltaire, fut, dans l’édition de 1756, mis dans la seconde partie des Mélanges de littérature. (B.)