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ANCIENS ET MODERNES.

L’Écossais pâlit de colère à ce discours, le docteur d’Oxford leva les épaules de pitié ; mais milord Chesterfield encouragea le Florentin par un sourire d’approbation.

Le Florentin, échauffé, et se tenant appuyé, leur dit : « Messieurs, rien n’est plus aisé que d’outrer la nature, rien n’est plus difficile que de l’imiter. Je suis un peu ce qu’on appelle en Italie improvisatori, et je vous parlerais huit jours de suite en vers dans ce style oriental, sans me donner la moindre peine, parce qu’il n’en faut aucune pour être ampoulé en vers négligés, chargés d’épithètes, qui sont presque toujours les mêmes ; pour entasser combats sur combats, et pour peindre des chimères.

— Qui ? vous ! lui dit le professeur, vous feriez un poëme épique sur-le-champ?

— Non pas un poème épique raisonnable et en vers corrects comme Virgile, répliqua l’Italien ; mais un poëme dans lequel je m’abandonnerais à toutes mes idées, sans me piquer d’y mettre de la régularité.

— Je vous en défie, dirent l’Écossais et l’Oxfordien.

— Eh bien ! donnez-moi un sujet, répliqua le Florentin. » Milord Chesterfield lui donna le sujet du Prince Noir, vainqueur à la journée de Poitiers, et donnant la paix après la victoire.

L’improvisateur se recueillit, et commença ainsi :

« Muse d’Albion, génie qui présidez aux héros, chantez avec moi, non la colère oisive d’un homme implacable envers ses amis et ses ennemis ; non des héros que les dieux favorisent tour à tour sans avoir aucune raison de les favoriser ; non le siège d’une ville qui n’est point prise ; non les exploits extravagants du fabuleux Fingal, mais les victoires véritables d’un héros aussi modeste que brave, qui mit des rois dans ses fers, et qui respecta ses ennemis vaincus.

« Déjà George, le Mars de l’Angleterre, était descendu du haut de l’empyrée, monté sur le coursier immortel devant qui les plus fiers chevaux du Limousin fuient, comme les brebis bêlantes et les tendres agneaux se précipitent en foule les uns sur les autres pour se cacher dans la bergerie à la vue d’un loup terrible, qui sort du fond des forêts, les yeux étincelants, le poil hérissé, la gueule écumante, menaçant les troupeaux et le berger de la fureur de ses dents avides de carnage.

« Martin, le célèbre protecteur des habitants de la fertile Touraine ; Geneviève, douce divinité des peuples qui boivent les eaux de la Seine et de la Marne ; Denis, qui porta sa tête entre ses