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ANCIENS ET MODERNES.

vanité et de la superstition. Les unes et les autres attestent une grande patience dans les peuples, mais aucun génie supérieur. Ni les Chinois, ni les Égyptiens, n’auraient pu faire seulement une statue telle que nos sculpteurs en forment aujourd’hui.

DU CHEVALIER TEMPLE.

Le chevalier Temple, qui a pris à tâche de rabaisser tous les modernes, prétend qu’ils n’ont rien en architecture de comparable aux temples de la Grèce et de Rome ; mais, tout Anglais qu’il était, il devait convenir que l’église de Saint-Pierre est incomparablement plus belle que n’était le Capitole.

C’est une chose curieuse que l’assurance avec laquelle il prétend qu’il n’y a rien de neuf dans notre astronomie, rien dans la connaissance du corps humain, si ce n’est peut-être, dit-il, la circulation du sang. L’amour de son opinion, fondé sur son extrême amour-propre, lui fait oublier la découverte des satellites de Jupiter, des cinq lunes et de l’anneau de Saturne, de la rotation du soleil sur son axe, de la position calculée de trois mille étoiles, des lois données par Képler et par Newton aux orbes célestes, des causes de la précession des équinoxes, et de cent autres connaissances dont les anciens ne soupçonnaient pas même la possibilité.

Les découvertes dans l’anatomie sont en aussi grand nombre. Un nouvel univers en petit, découvert avec le microscope, était compté pour rien par le chevalier Temple ; il fermait les yeux aux merveilles de ses contemporains, et ne les ouvrait que pour admirer l’ancienne ignorance.

Il va jusqu’à nous plaindre de n’avoir plus aucun reste de la magie des Indiens, des Chaldéens, des Égyptiens ; et par cette magie il entend une profonde connaissance de la nature, par laquelle ils produisaient des miracles, sans qu’il en cite aucun, parce qu’en effet il n’y en a jamais eu. « Que sont devenus, dit-il, les charmes de cette musique qui enchantait si souvent les hommes et les bêtes, les poissons, les oiseaux, les serpents, et changeait leur nature ? »

Cet ennemi de son siècle croit bonnement à la fable d’Orphée, et n’avait apparemment entendu ni la belle musique d’Italie, ni même celle de France, qui à la vérité ne charment pas les serpents, mais qui charment les oreilles des connaisseurs.

Ce qui est encore plus étrange, c’est qu’ayant toute sa vie cultivé les belles-lettres, il ne raisonne pas mieux sur nos bons