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ANATOMIE.

et tranquille, sans se mêler de la dispute, subjugue cependant sa cavale qui lui donne un beau mulet, sans que Lémeri et Winslow se doutent par quel art ce mulet naît avec des oreilles d’âne et un corps de cheval.

Borelli dit que l’œil gauche est beaucoup plus fort que l’œil droit. D’habiles physiciens ont soutenu le parti de l’œil droit contre lui.

Vossius attribuait la couleur des nègres à une maladie. Ruysch a mieux rencontré en les disséquant, et en enlevant avec une adresse singulière le corps muqueux réticulaire qui est noir ; et malgré cela il se trouve encore des physiciens qui croient les noirs originairement blancs. Mais qu’est-ce qu’un système que la nature désavoue ?

Boerhaave[1] assure que le sang dans les vésicules des poumons est pressé, chassé, foulé, brisé, atténué.

Lecat prétend que rien de tout cela n’est vrai. Il attribue la couleur rouge du sang à un fluide caustique, et on lui nie son fluide caustique.

Les uns font des nerfs un canal par lequel passe un fluide invisible ; les autres en font un violon dont les cordes sont pincées par un archet qu’on ne voit pas davantage.

La plupart des médecins attribuent les règles des femmes à la pléthore du sang. Terenzoni et Vieussens croient que la cause de ces évacuations est dans un esprit vital, dans le froissement des nerfs, enfin dans le besoin d’aimer.

On a recherché jusqu’à la cause de la sensibilité, et on est allé jusqu’à la trouver dans la trépidation des membres à demi animés. On a cru les membranes du fœtus irritables, et cette idée a été fortement combattue.

Celui-ci dit que la palpitation d’un membre coupé est le ton que le membre conserve encore. Cet autre dit que c’est l’élasticité ; un troisième l’appelle irritabilité. La cause, tous l’ignorent, tous sont à la porte du dernier asile où la nature se renferme ; elle ne se montre jamais à eux, et ils devinent dans son antichambre.

Heureusement ces questions sont étrangères à la médecine utile, qui n’est fondée que sur l’expérience, sur la connaissance du tempérament d’un malade, sur des remèdes très-simples donnés à propos ; le reste est pure curiosité, et souvent charlatanerie.

  1. Sur ce mot voyez la note de Voltaire, à la fin du chapitre xxxiii du Siècle de Louis XV.