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INTRODUCTION.


contrefait chez les Suisses, et les additions dont on le charge sont sans doute entièrement opposées à la méthode italienne, afin que le lecteur impartial soit en état de juger.

Cependant cette entreprise n’appartenait qu’à la France ; des Français seuls l’avaient conçue et exécutée. On en tira quatre mille deux cent cinquante exemplaires, dont il ne reste pas un seul chez les libraires. Ceux qu’on peut trouver par un hasard heureux se vendent aujourd’hui dix-huit cents francs ; ainsi tout l’ouvrage pourrait avoir opéré une circulation de sept millions six cent cinquante mille livres. Ceux qui ne considéreront que l’avantage du négoce verront que celui des deux Indes n’en a jamais approché. Les libraires y ont gagné environ cinq cents pour cent, ce qui n’est jamais arrivé depuis près de deux siècles dans aucun commerce. Si on envisage l’économie politique, on verra que plus de mille ouvriers, depuis ceux qui recherchent la première matière du papier, jusqu’à ceux qui se chargent des plus belles gravures, ont été employés et ont nourri leurs familles.

Il y a un autre prix pour les auteurs, le plaisir d’expliquer le vrai, l’avantage d’enseigner le genre humain, la gloire : car pour le faible honoraire qui en revint à deux ou trois auteurs principaux, et qui fut si disproportionné à leurs travaux immenses, il ne doit pas être compté. Jamais on ne travailla avec tant d’ardeur et avec un plus noble désintéressement.

On vit bientôt des personnages recommandables dans tous les rangs, officiers généraux, magistrats, ingénieurs, véritables gens de lettres, s’empresser à décorer cet ouvrage de leurs recherches, souscrire et travailler à la fois : ils ne voulaient que la satisfaction d’être utiles ; ils ne voulaient point être connus, et c’est malgré eux qu’on a imprimé le nom de plusieurs.

Le philosophe s’oublia pour servir les hommes ; l’intérêt, l’envie et le fanatisme, ne s’oublièrent pas. Quelques jésuites qui étaient en possession d’écrire sur la théologie et sur les belles-lettres pensaient qu’il n’appartenait qu’aux journalistes de Trévoux d’enseigner la terre : ils voulurent au moins avoir part à l’Encyclopédie pour de l’argent, car il est à remarquer qu’aucun jésuite n’a donné au public ses ouvrages sans les vendre ; mais en cela il n’y a point de reproche à leur faire.

Dieu permit en même temps que deux ou trois convulsionnaires se présentassent pour coopérer à l’Encyclopédie : on avait à choisir entre ces deux extrêmes ; on les rejeta tous deux également comme de raison, parce qu’on n’était d’aucun parti, et qu’on se bornait à chercher la vérité. Quelques gens de lettres