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ANA, ANECDOTES.

tage les esprits, et que tout récemment on vient encore de donner au public[1] une lettre dans laquelle on prétend prouver que ce prisonnier célèbre était un secrétaire du duc de Mantoue (ce qu’il n’est pas possible de concilier avec les grandes marques de respect que M. de Saint-Mars donnait à son prisonnier), l’auteur a cru devoir enfin dire ce qu’il en pense depuis plusieurs années. Peut-être cette conjecture mettra-t-elle fin à toute autre recherche, à moins que le secret ne soit dévoilé par ceux qui peuvent en être les dépositaires, d’une façon à lever tous les doutes.

On ne s’amusera point à réfuter ceux qui ont imaginé que ce prisonnier pouvait être le comte de Vermandois, le duc de Beaufort, ou le duc de Monmouth. Le savant et très judicieux auteur de cette dernière opinion a très bien réfuté les autres ; mais il n’a essentiellement appuyé la sienne que sur l’impossibilité de trouver en Europe quelque autre prince dont il eût été de la plus grande importance qu’on ignorât la détention. M. de Saint-Foix a raison, s’il n’entend parler que des princes dont l’existence était connue ; mais pourquoi personne ne s’est-il encore avisé de supposer que le masque de fer pouvait avoir été un prince inconnu, élevé en cachette, et dont il importait de laisser ignorer totalement l’existence ?

Le duc de Monmouth n’était pas pour la France un prince d’une si grande importance ; et l’on ne voit pas même ce qui eût pu engager cette puissance, au moins après la mort de ce duc et celle de Jacques Second, à faire un si grand secret de sa détention, s’il eût été en effet le masque de fer. Il n’est guère probable non plus que M. de Louvois et M. de Saint-Mars eussent marqué au duc de Monmouth ce profond respect que M. de Voltaire assure qu’ils portaient au masque de fer.

L’auteur conjecture, de la manière dont M. de Voltaire a raconté le fait, que cet historien célèbre est aussi persuadé que lui du soupçon qu’il va, dit-il, manifester, mais que M. de Voltaire, à titre de Français, n’a pas voulu, ajoute-t-il, publier tout net, surtout en ayant dit assez pour que le mot de l’énigme ne dût pas être difficile à deviner. Le voici, continue-t-il toujours, selon moi.

« Le masque de fer était sans doute un frère, et un frère aîné de Louis XIV, dont la mère avait ce goût pour le linge fin sur lequel M. de Voltaire appuie. Ce fut en lisant les Mémoires de ce temps, qui rapportent cette anecdote au sujet de la reine, que,

  1. Voyez Journal encyclopédique, 1770, 15 août, pages 132-138.