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ANA, ANECDOTES.

Durand en 1752, avec privilège, voici ce qu’on trouve, tome III, page 183 : « Les amours de Louis XIV ayant été jouées en Angleterre, ce prince voulut aussi faire jouer celles du roi Guillaume. L’abbé Brueys fut chargé par M. de Torcy de faire la pièce ; mais, quoique applaudie, elle ne fut pas jouée, parce que celui qui en était l’objet mourut sur ces entrefaites. »

Il y a autant de mensonges absurdes que de mots dans ce peu de lignes. Jamais on ne joua les amours de Louis XIV sur le théâtre de Londres. Jamais Louis XIV ne fut assez petit pour ordonner qu’on fît une comédie sur les amours du roi Guillaume. Jamais le roi Guillaume n’eut de maîtresse ; ce n’était pas d’une telle faiblesse qu’on l’accusait. Jamais le marquis de Torcy ne parla à l’abbé Brueys. Jamais il ne put faire, ni à lui ni à personne, une proposition si indiscrète et si puérile. Jamais l’abbé Brueys ne fit la comédie dont il est question. Fiez-vous après cela aux anecdotes.

Il est dit dans le même livre que « Louis XIV fut si content de l’opéra d’Isis qu’il fit rendre un arrêt du conseil par lequel il est permis à un homme de condition de chanter à l’Opéra, et d’en retirer des gages sans déroger. Cet arrêt a été enregistré au parlement de Paris ».

Jamais il n’y eut une telle déclaration enregistrée au parlement de Paris. Ce qui est vrai, c’est que Lulli obtint en 1672, longtemps avant l’opéra d’Isis, des lettres portant permission d’établir son Opéra, et fit insérer dans ces lettres que « les gentilshommes et les demoiselles pourraient chanter sur ce théâtre sans déroger ». Mais il n’y eut point de déclaration enregistrée[1].

Je lis dans l’Histoire philosophique et politique du commerce dans les deux Indes, tome IV, page 66, qu’on est fondé à croire que « Louis XIV n’eut de vaisseaux que pour fixer sur lui l’admiration, pour châtier Gênes et Alger ». C’est écrire, c’est juger au hasard ; c’est contredire la vérité avec ignorance ; c’est insulter Louis XIV sans raison : ce monarque avait cent vaisseaux de guerre et soixante mille matelots dès l’an 1678 ; et le bombardement de Gênes est de 1684 ».

De tous les ana, celui qui mérite le plus d’être mis au rang des mensonges imprimés, et surtout des mensonges insipides, est le Segraisiana. Il fut compilé par un copiste de Segrais, son domestique, et imprimé longtemps après la mort du maître.

Le Ménagiana, revu par La Monnoye, est le seul dans lequel on trouve des choses instructives.

  1. Voyez dans l’article Art dramatique ce qui concerne l’Opéra. (Note de Voltaire.)