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AMPLIFICATION.

éclairs pressés et des gouffres de feu, semblent des expressions un peu boursouflées qui seraient souffertes dans une ode, et qu’Horace réprouvait avec tant de raison dans la tragédie (Art poét., v. 97) :


Projicit ampullas et sesquipedalia verba.
 
Le pilote effrayé, que la flamme environne.
Aux rochers qu’il fuyait lui-même s’abandonne.


On peut s’abandonner aux vents ; mais il me semble qu’on ne s’abandonne pas aux rochers.


Notre vaisseau poussé... nage dispersé.


Un vaisseau ne nage point dispersé ; Virgile a dit, non en parlant d’un vaisseau, mais des hommes qui ont fait naufrage (Én., liv. I, vers 122) :


Apparent rari nantes in gurgite vasto.


Voilà où le mot nager est à sa place. Les débris d’un vaisseau flottent et ne nagent pas. Desfontaines a traduit ainsi ce beau vers de l’Énéide : « À peine un petit nombre de ceux qui montaient le vaisseau purent se sauver à la nage. »

C’est traduire Virgile en style de gazette. Où est ce vaste gouffre que peint le poëte, gurgite vasto ? où est l’apparent rari nantes ? Ce n’est pas avec cette sécheresse qu’on doit traduire l’Énéide : il faut rendre image pour image, beauté pour beauté. Nous faisons cette remarque en faveur des commençants. On doit les avertir que Desfontaines n’a fait que le squelette informe de Virgile, comme il faut leur dire que la description de la tempête par Tydée est fautive et déplacée. Tydée devait s’étendre avec attendrissement sur la mort de son ami, et non sur la vaine description d’une tempête.

On ne présente ces réflexions que pour l’intérêt de l’art, et non pour attaquer l’artiste.


.... Ubi plura nitent in carmine, non ego paucis
Offendar maculis.

Hor., de Art. poet.


En faveur des beautés on pardonne aux défauts.