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AMOUR SOCRATIQUE.

Les jeunes mâles de notre espèce, élevés ensemble, sentant cette force que la nature commence à déployer en eux, et ne trouvant point l’objet naturel de leur instinct, se rejettent sur ce qui lui ressemble. Souvent un jeune garçon, par la fraîcheur de son teint, par l’éclat de ses couleurs, et par la douceur de ses yeux, ressemble pendant deux ou trois ans à une belle fille ; si on l’aime, c’est parce que la nature se méprend : on rend hommage au sexe, en s’attachant à ce qui en a les beautés, et quand l’âge a fait évanouir cette ressemblance, la méprise cesse.


. . . . . . . . . . . . . . . . Citraque juventam
Ætatis breve ver et primos carpere flores.

Ovid., Met., X, 84-85.


On n’ignore pas que cette méprise de la nature est beaucoup plus commune dans les climats doux que dans les glaces du septentrion, parce que le sang y est plus allumé, et l’occasion plus fréquente : aussi ce qui ne paraît qu’une faiblesse dans le jeune Alcibiade est une abomination dégoûtante dans un matelot hollandais et dans un vivandier moscovite.

Je ne puis souffrir qu’on prétende que les Grecs ont autorisé cette licence[1]. On cite le législateur Solon, parce qu’il a dit en deux mauvais vers :


Tu chériras un beau garçon,
Tant qu’il n’aura barbe au menton[2].


Mais, en bonne foi, Solon était-il législateur quand il fit ces deux vers ridicules ? Il était jeune alors, et quand le débauché fut devenu sage il ne mit point une telle infamie parmi les lois de sa république. Accusera-t-on Théodore de Bèze d’avoir prêché la

  1. Un écrivain moderne nommé Larcher, répétiteur de collège, dans un libelle rempli d’erreurs en tout genre, et de la critique la plus grossière, ose citer je ne sais quel bouquin, dans lequel on appelle Socrate sanctus pédérastes, Socrate saint b..... Il n’a pas été suivi dans ces horreurs par l’abbé Foucher ; mais cet abbé, non moins grossier, s’est trompé encore lourdement sur Zoroastre et sur les anciens Persans. Il en a été vivement repris par un homme savant dans les langues orientales. (Note de Voltaire.) — Cette note, ajoutée en 1770, était alors un peu plus loin. Ce fut en 1774, dans l’édition in 4°, que Voltaire la mit ici en en changeant les premiers mots. Les réprimandes faites à l’abbé Foucher sont les deux lettres mentionnées dans une note de Voltaire, de l’article Académie, et qu’on peut voir dans les Mélanges, année 1769. (B. )
  2. Traduction d’Amyot, grand-aumônier de France. (Note de Voltaire.)