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AMOUR-PROPRE.

imprimé dans Amsterdam[1], de quoi remplir de victimes tous les cachots de la France ; et à la fin il sort de ces cachots mêmes un cri dont le retentissement fait tomber par terre toute une société habile et tyrannique, fondée par un fou ignorant[2].


AMOUR-PROPRE[3].


Nicole, dans ses Essais de morale, faits après deux ou trois mille volumes de morale (Traité de la charité, chap, ii), dit que « par le moyen des roues et des gibets qu’on établit en commun, on réprime les pensées et les desseins tyranniques de l’amour-propre de chaque particulier ».

Je n’examinerai point si on a des gibets en commun, comme on a des prés et des bois en commun, et une bourse commune, et si on réprime des pensées avec des roues ; mais il me semble fort étrange que Nicole ait pris le vol de grand chemin et l’assassinat pour de l’amour-propre. Il faut distinguer un peu mieux les nuances. Celui qui dirait que Néron a fait assassiner sa mère par amour-propre, que Cartouche avait beaucoup d’amour-propre, ne s’exprimerait pas fort correctement. L’amour-propre n’est point une scélératesse, c’est un sentiment naturel à tous les hommes ; il est beaucoup plus voisin de la vanité que du crime.

[4] Un gueux des environs de Madrid demandait noblement l’aumône ; un passant lui dit : « N’êtes-vous pas honteux de faire ce métier infâme quand vous pouvez travailler ? — Monsieur, répondit le mendiant, je vous demande de l’argent et non pas des conseils ; » puis il lui tourna le dos en conservant toute la dignité castillane. C’était un fier gueux que ce seigneur, sa vanité était blessée pour peu de chose. Il demandait l’aumône par amour de soi-même, et ne souffrait pas la réprimande par un autre amour de soi-même.

Un missionnaire voyageant dans l’Inde rencontra un fakir chargé de chaînes, nu comme un singe, couché sur le ventre, et se faisant fouetter pour les péchés de ses compatriotes les Indiens,

  1. C’est à Louvain que l’Augustinus de Jansénius fut imprimé en 1640.
  2. Ignace de Loyola. Voyez son article au mot Ignace de Loyola.
  3. Voyez la note suivante.
  4. Dans l’édition de 1764 du Dictionnaire philosophique, c’est ici que commençait l’article. Ce qui précède fut ajouté en 1770 dans les Questions sur l’Encyclopédie.