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AMOUR DE DIEU.

goût de Polichinelle ? Il est étrange que l’auteur du Télémaque et des froides amours d’Eucharis ait dit dans ses Maximes des saints, d’après le bienheureux François de Sales : « Je n’ai presque point de désirs ; mais si j’étais à renaître je n’en aurais point du tout. Si Dieu venait à moi, j’irais aussi à lui ; s’il ne voulait pas venir à moi, je me tiendrais là, et n’irais pas à lui[1]. »

C’est sur cette proposition que roule tout son livre. On ne condamna point saint François de Sales ; mais on condamna Fénelon. Pourquoi ? c’est que François de Sales n’avait point un violent ennemi à la cour de Turin, et que Fénelon en avait un à Versailles.

Ce qu’on a écrit de plus sensé sur cette controverse mystique se trouve peut-être dans la satire de Boileau sur l’amour de Dieu, quoique ce ne soit pas assurément son meilleur ouvrage.


Qui fait exactement ce que ma loi commande,
A pour moi, dit ce Dieu, l’amour que je demande.

Ép. XII, V. 208-209.


S’il faut passer des épines de la théologie à celles de la philosophie, qui sont moins longues et moins piquantes, il paraît clair qu’on peut aimer un objet sans aucun retour sur soi-même, sans aucun mélange d’amour-propre intéressé. Nous ne pouvons comparer les choses divines aux terrestres, l’amour de Dieu à un autre amour. Il manque précisément un infini d’échelons pour nous élever de nos inclinations humaines à cet amour sublime. Cependant puisqu’il n’y a pour nous d’autre point d’appui que la terre, tirons nos comparaisons de la terre. Nous voyons un chef-d’œuvre de l’art en peinture, en sculpture, en architecture, en poésie, en éloquence ; nous entendons une musique qui enchante nos oreilles et notre âme : nous l’admirons, nous l’aimons sans qu’il nous en revienne le plus léger avantage, c’est un sentiment pur ; nous allons même jusqu’à sentir quelquefois de la vénération, de l’amitié pour l’auteur, et s’il était là nous l’embrasserions.

  1. Explication des maximes des saints sur la vie intérieure, par Fénelon, 1097, in-12, page 57, article v. Cet ouvrage n’existe dans aucune des nombreuses éditions des Œuvres (choisies) de Fénelon : on ne l’a pas même compris dans la seule édition complète en 22 volumes in-8o, auxquels on joint 11 volumes de correspondance. On n’a pas voulu reproduire dans les œuvres de Fénelon un ouvrage condamné à Rome. On a cependant admis dans les 22 volumes tous les écrits que l’auteur a composés pour la défense de l’ouvrage exclu. (B.)