Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome17.djvu/188

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
168
ÂME.

que l’âme périssait avec le corps ; les esséniens, dit encore Josèphe, tenaient les âmes immortelles : les âmes, selon eux, descendaient en forme aérienne dans les corps, de la plus haute région de l’air ; elles y sont reportées par un attrait violent, et après la mort celles qui ont appartenu à des gens de bien demeurent au delà de l’Océan, dans un pays où il n’y a ni chaud ni froid, ni vent ni pluie. Les âmes des méchants vont dans un climat tout contraire. Telle était la théologie des Juifs.

Celui qui seul devait instruire tous les hommes vint condamner ces trois sectes ; mais sans lui nous n’aurions jamais pu rien connaître de notre âme, puisque les philosophes n’en ont jamais eu aucune idée déterminée, et que Moïse, seul vrai législateur du monde avant le nôtre, Moïse, qui parlait à Dieu face à face, a laissé les hommes dans une ignorance profonde sur ce grand article. Ce n’est donc que depuis dix-sept cents ans qu’on est certain de l’existence de l’âme et de son immortalité.

Cicéron n’avait que des doutes ; son petit-fils et sa petite-fille purent apprendre la vérité des premiers Galiléens qui vinrent à Rome.

Mais avant ce temps-là, et depuis dans tout le reste de la terre où les apôtres ne pénétrèrent pas, chacun devait dire à son âme : Qui es-tu ? d’où viens-tu ? que fais-tu ? où vas-tu ? Tu es je ne sais quoi, pensant et sentant, et quand tu sentirais et penserais cent mille millions d’années, tu n’en sauras jamais davantage par tes propres lumières, sans le secours d’un Dieu.

Ô homme ! ce Dieu t’a donné l’entendement pour te bien conduire, et non pour pénétrer dans l’essence des choses qu’il a créées[1].

C’est ainsi qu’a pensé Locke, et avant Locke Gassendi, et avant Gassendi une foule de sages ; mais nous avons des bacheliers qui savent tout ce que ces grands hommes ignoraient.

De cruels ennemis de la raison ont osé s’élever contre ces vérités reconnues par tous les sages. Ils ont porté la mauvaise foi et l’impudence jusqu’à imputer aux auteurs de cet ouvrage d’avoir assuré que l’âme est matière. Vous savez bien, persécuteurs de l’innocence, que nous avons dit tout le contraire. Vous avez dû lire ces propres mots contre Épicure, Démocrite[2] et Lucrèce : « Mon ami, comment un atome pense-t-il ? avoue que tu n’en sais rien. » Vous êtes donc évidemment des calomniateurs.

  1. C’est ici que finissait l’article dans la première édition du Dictionnaire philosophique ; ce qui suit fut ajoute en 1705. (B.)
  2. Voyez page 103, ligne 33.