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ÂME.

antiquité était l’opinion d’une autre vie. Les Indiens en étaient persuadés, leur métempsycose en est la preuve. Les Chinois révéraient les âmes de leurs ancêtres. Tous ces peuples avaient fondé de puissants empires longtemps avant les Égyptiens. C’est une vérité très importante, que je crois avoir déjà prouvée[1] par la nature même du sol de l’Égypte. Les terrains les plus favorables ont dû être cultivés les premiers ; le terrain d’Égypte était le moins praticable de tous, puisqu’il est submergé quatre mois de l’année : ce ne fut qu’après des travaux immenses, et par conséquent après un espace de temps prodigieux, qu’on vint à bout d’élever des villes que le Nil ne pût inonder.

Cet empire si ancien l’était donc bien moins que les empires de l’Asie ; et dans les uns et dans les autres on croyait que l’âme subsistait après la mort. Il est vrai que tous ces peuples, sans exception, regardaient l’âme comme une forme éthérée, légère, une image du corps ; le mot grec qui signifie souffle ne fut longtemps après inventé que par les Grecs. Mais enfin, on ne peut douter qu’une partie de nous-même ne fût regardée comme immortelle. Les châtiments et les récompenses dans une autre vie étaient le grand fondement de l’ancienne théologie.

Phérécide fut le premier chez les Grecs qui crut que les âmes existaient de toute éternité, et non le premier, comme on l’a cru, qui ait dit que les âmes survivaient au corps. Ulysse, longtemps avant Phérécide, avait vu les âmes des héros dans les enfers ; mais que les âmes fussent aussi anciennes que le monde, c’était un système né dans l’Orient, apporté dans l’Occident par Phérécide. Je ne crois pas que nous ayons parmi nous un seul système qu’on ne retrouve chez les anciens : ce n’est qu’avec les décombres de l’antiquité que nous avons élevé tous nos édifices modernes.


SECTION XI[2].


Ce serait une belle chose de voir son âme. Connais-toi toi-même[3] est un excellent précepte, mais il n’appartient qu’à Dieu de le mettre en pratique : quel autre que lui peut connaître son essence ?

Nous appelons âme ce qui anime. Nous n’en savons guère

  1. Essai sur les Mœurs, introduction, paragraphe xix.
  2. Dans la première édition du Dictionnaire philosophique, en 1704, c’était de cette section à peu près qu’était composé l’article Âme. (B.)
  3. Voyez Juvénal, satire xi, vers 27.