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ÂME.

s’il le voulait, il pourrait faire ce présent-là à un atome, conserver à jamais cet atome et son présent, ou le détruire à son gré. La difficulté consiste moins à deviner comment la matière pourrait penser qu’à deviner comment une substance quelconque pense. Vous n’avez des idées que parce que Dieu a bien voulu vous en donner : pourquoi voulez-vous l’empêcher d’en donner à d’autres espèces ? Seriez-vous bien assez intrépide pour oser croire que votre âme est précisément du même genre que les substances qui approchent le plus près de la Divinité ? Il y a grande apparence qu’elles sont d’un ordre bien supérieur, et qu’en conséquence Dieu leur a daigné donner une façon de penser infiniment plus belle ; de même qu’il a accordé une mesure d’idée très médiocre aux animaux, qui sont d’un ordre inférieur à vous. J’ignore comment je vis, comment je donne la vie, et vous voulez que je sache comment j’ai des idées : l’âme est une horloge que Dieu nous a donnée à gouverner ; mais il ne nous a point dit de quoi le ressort de cette horloge est composé.

« Y a-t-il rien dans tout cela dont on puisse inférer que nos âmes sont mortelles ? Encore une fois, nous pensons comme vous sur l’immortalité que la foi nous annonce ; mais nous croyons que nous sommes trop ignorants pour affirmer que Dieu n’ait pas le pouvoir d’accorder la pensée à tel être qu’il voudra. Vous bornez la puissance du Créateur, qui est sans bornes, et nous retendons aussi loin que s’étend son existence. Pardonnez-nous de le croire tout-puissant, comme nous vous pardonnons de restreindre son pouvoir. Vous savez sans doute tout ce qu’il peut faire, et nous n’en savons rien. Vivons en frères, adorons en paix notre Père commun : vous, avec vos âmes savantes et hardies ; nous, avec nos âmes ignorantes et timides. Nous avons un jour à vivre : passons-le doucement sans nous quereller pour des difficultés qui seront éclaircies dans la vie immortelle qui commencera demain. »

Le brutal, n’ayant rien de bon à répliquer, parla longtemps et se fâcha beaucoup. Nos pauvres philosophes se mirent pendant quelques semaines à lire l’histoire ; et après avoir bien lu, voici ce qu’ils dirent à ce barbare, qui était si indigne d’avoir une âme immortelle :

« Mon ami, nous avons lu que dans toute l’antiquité les choses allaient aussi bien que dans notre temps ; qu’il y avait même de plus grandes vertus, et qu’on ne persécutait point les philosophes pour les opinions qu’ils avaient : pourquoi donc voudriez-vous nous faire du mal pour les opinions que nous n’avons pas ? Nous lisons que toute l’antiquité croyait la matière éternelle. Ceux qui ont vu