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ÂME.

sons pas ? est-ce une propriété donnée de Dieu à la matière organisée ? »

Ils font alors des expériences sur des insectes, sur des vers de terre ; ils les coupent en plusieurs parties, et ils sont étonnés de voir qu’au bout de quelque temps il vient des têtes à toutes ces parties coupées ; le même animal se reproduit, et tire de sa destruction même de quoi se multiplier. A-t-il plusieurs âmes qui attendent, pour animer ces parties reproduites, qu’on ait coupé la tête au premier tronc ? Ils ressemblent aux arbres, qui repoussent des branches et qui se reproduisent de bouture ; ces arbres ont-ils plusieurs âmes ? Il n’y a pas d’apparence ; donc il est très probable que l’âme de ces bêtes est d’une autre espèce que ce que nous appelions âme végétative dans les plantes ; que c’est une faculté d’un ordre supérieur, que Dieu a daigné donner à certaines portions de matière : c’est une nouvelle preuve de sa puissance ; c’est un nouveau sujet de l’adorer.

Un homme violent et mauvais raisonneur entend ce discours et leur dit : « Vous êtes des scélérats dont il faudrait brûler les corps pour le bien de vos âmes ; car vous niez l’immortalité de l’âme de l’homme. » Nos philosophes se regardent tout étonnés ; l’un d’eux lui répond avec douceur : « Pourquoi nous brûler si vite ? sur quoi avez-vous pu penser que nous ayons l’idée que votre cruelle âme est mortelle ? — Sur ce que vous croyez, reprend l’autre, que Dieu a donné aux brutes, qui sont organisées comme nous, la faculté d’avoir des sentiments et des idées. Or cette âme des bêtes périt avec elles, donc vous croyez que l’âme des hommes périt aussi. »

Le philosophe répond : « Nous ne sommes point du tout sûrs que ce que nous appelons âme dans les animaux périsse avec eux ; nous savons très bien que la matière ne périt pas, et nous croyons qu’il se peut faire que Dieu ait mis dans les animaux quelque chose qui conservera toujours, si Dieu le veut, la faculté d’avoir des idées. Nous n’assurons pas, à beaucoup près, que la chose soit ainsi : car il n’appartient guère aux hommes d’être si confiants ; mais nous n’osons borner la puissance de Dieu. Nous disons qu’il est très probable que les bêtes, qui sont matière, ont reçu de lui un peu d’intelligence. Nous découvrons tous les jours des propriétés de la matière, c’est-à-dire des présents de Dieu, dont auparavant nous n’avions pas d’idées. Nous avions d’abord défini la matière une substance étendue ; ensuite nous avons reconnu qu’il fallait lui ajouter la solidité ; quelque temps après il a fallu admettre que cette matière a une force qu’on nomme force d’iner-