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ÂME.

de penser, comme nous appelons vie la faculté de vivre, et volonté la faculté de vouloir.

Des raisonneurs sont venus ensuite, et ont dit : L’homme est composé de matière et d’esprit ; la matière est étendue et divisible ; l’esprit n’est ni étendu ni divisible : donc il est, disent-ils, d’une autre nature. C’est un assemblage d’êtres qui ne sont point faits l’un pour l’autre, et que Dieu unit malgré leur nature. Nous voyons peu le corps, nous ne voyons point l’âme ; elle n’a point de parties : donc elle est éternelle ; elle a des idées pures et spirituelles : donc elle ne les reçoit point de la matière ; elle ne les reçoit point non plus d’elle-même : donc Dieu les lui donne ; donc elle apporte en naissant les idées de Dieu, de l’infini, et toutes les idées générales.

Toujours humainement parlant, je réponds à ces messieurs qu’ils sont bien savants. Ils nous disent d’abord qu’il y a une âme, et puis ce que ce doit être. Ils prononcent le nom de matière, et décident ensuite nettement ce qu’elle est. Et moi je leur dis : Vous ne connaissez ni l’esprit ni la matière. Par l’esprit, vous ne pouvez imaginer que la faculté de penser ; par la matière, vous ne pouvez entendre qu’un certain assemblage de qualités, de couleurs, d’étendues, de solidités ; et il vous a plu d’appeler cela matière, et vous avez assigné les limites de la matière et de l’âme avant d’être sûrs seulement de l’existence de l’une et de l’autre.

Quant à la matière, vous enseignez gravement qu’il n’y a en elle que l’étendue et la solidité ; et moi je vous dis modestement qu’elle est capable de mille propriétés que ni vous ni moi ne connaissons pas. Vous dites que l’âme est indivisible, éternelle ; et vous supposez ce qui est en question. Vous êtes à peu près comme un régent de collège qui, n’ayant vu d’horloge de sa vie, aurait tout d’un coup entre ses mains une montre d’Angleterre à répétition. Cet homme, bon péripatéticien, est frappé de la justesse avec laquelle les aiguilles divisent et marquent les temps, et encore plus étonné qu’un bouton, poussé par le doigt, sonne précisément l’heure que l’aiguille marque. Mon philosophe ne manque pas de trouver qu’il y a dans cette machine une âme qui la gouverne et qui en mène les ressorts. Il démontre savamment son opinion par la comparaison des anges qui font aller les sphères célestes, et il fait soutenir dans sa classe de belles thèses sur l’âme des montres. Un de ses écoliers ouvre la montre ; on n’y voit que des ressorts, et cependant on soutient toujours le système de l’âme des montres, qui passe pour démontré. Je suis cet écolier ouvrant