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ÂME.

penser fut illimitée chez les Romains. Les esprits durs, jaloux et rétrécis, qui se sont efforcés d’écraser parmi nous cette liberté, mère de nos connaissances, et premier ressort de l’entendement humain, ont prétexté des dangers chimériques. Ils n’ont pas songé que les Romains, qui poussaient cette liberté beaucoup plus loin que nous, n’en ont pas moins été nos vainqueurs, nos législateurs, et que les disputes de l’école n’ont pas plus de rapport au gouvernement que le tonneau de Diogène n’en eut avec les victoires d’Alexandre.

Cette leçon vaut bien une leçon sur l’âme : nous aurons peut-être plus d’une occasion d’y revenir.

Enfin, en adorant Dieu de toute notre âme, confessons toujours notre profonde ignorance sur cette âme, sur cette faculté de sentir et de penser que nous tenons de sa bonté infinie. Avouons que nos faibles raisonnements ne peuvent rien ôter, rien ajouter à la révélation et à la foi. Concluons enfin que nous devons employer cette intelligence, dont la nature est inconnue, à perfectionner les sciences qui sont l’objet de l’Encyclopédie, comme les horlogers emploient des ressorts dans leurs montres, sans savoir ce que c’est que le ressort.


SECTION IV[1].

SUR L’ÂME, ET SUR NOS IGNORANCES.


Sur la foi de nos connaissances acquises, nous avons osé mettre en question si l’âme est créée avant nous, si elle arrive du néant dans notre corps ? à quel âge elle est venue se placer entre une vessie et les intestins cœcum et rectum ? si elle y a reçu ou apporté quelques idées, et quelles sont ces idées ? si après nous avoir animé quelques moments, son essence est de vivre après nous dans l’éternité sans l’intervention de Dieu même ? si étant esprit, et Dieu étant esprit, ils sont l’un et l’autre d’une nature semblable[2]? Ces questions paraissent sublimes : que sont-elles ? des questions d’aveugles-nés sur la lumière.

  1. Questions sur l’Encyclopédie. 1770. (B.)
  2. Ce n’était pas sans doute l’opinion de saint Augustin, qui, dans le livre VIII de la Cité de Dieu, s’exprime ainsi : « Que ceux-là se taisent qui n’ont pas osé, à la vérité, dire que Dieu est un corps, mais qui ont cru que nos âmes sont de même nature que lui. Ils n’ont pas été frappés de l’extrême mutabilité de notre âme, qu’il n’est pas permis d’attribuer à Dieu. » « Cedant et illi quos quidem puduit dicere Deum corpus esse, verumtamen ejusdem naturæ, cujus ille est, animos nostros esse putaverunt. Ita non eos movet tanta mutabilitas animæ, quam Dei naturaæ tribuere nefas est. » (Note de Voltaire.)