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ÂME.

L’auteur de l’article Âme dans l’Encyclopédie s’explique ainsi : « Je me représente l’âme des bêtes comme une substance immatérielle et intelligente ; mais de quelle espèce ? Ce doit être, ce me semble, un principe actif qui a des sensations, et qui n’a que cela... Si nous réfléchissons sur la nature de l’âme des bêtes, elle ne nous fournit rien de son fonds qui nous porte à croire que sa spiritualité la sauvera de l’anéantissement. »

Je n’entends pas comment on se représente une substance immatérielle. Se représenter quelque chose, c’est s’en faire une image ; et jusqu’à présent personne n’a pu peindre l’esprit. Je veux que, par le mot représente, l’auteur entende je conçois ; pour moi, j’avoue que je ne le conçois pas. Je conçois encore moins qu’une âme spirituelle soit anéantie, parce que je ne conçois ni la création ni le néant ; parce que je n’ai jamais assisté au conseil de Dieu ; parce que je ne sais rien du tout du principe des choses.

Si je veux prouver que l’âme est un être réel, on m’arrête en me disant que c’est une faculté. Si j’affirme que c’est une faculté, et que j’ai celle de penser, on me répond que je me trompe ; que Dieu, le maître éternel de toute la nature, fait tout en moi, et dirige toutes mes actions et toutes mes pensées ; que si je produisais mes pensées, je saurais celles que j’aurai dans une minute ; que je ne le sais jamais ; que je ne suis qu’un automate à sensations et à idées, nécessairement dépendant, et entre les mains de l’Être suprême, infiniment plus soumis à lui que l’argile ne l’est au potier.

J’avoue donc mon ignorance ; j’avoue que quatre mille tomes de métaphysique ne nous enseigneront pas ce que c’est que notre âme.

Un philosophe orthodoxe disait à un philosophe hétérodoxe : « Comment avez-vous pu parvenir à imaginer que l’âme est mortelle de sa nature, et qu’elle n’est éternelle que par la pure volonté de Dieu ? — Par mon expérience, dit l’autre. — Comment ! est-ce que vous êtes mort ? — Oui, fort souvent. Je tombais en épilepsie dans ma jeunesse, et je vous assure que j’étais parfaitement mort pendant plusieurs heures. Nulle sensation, nul souvenir même du moment où j’étais tombé. Il m’arrive à présent la même chose presque toutes les nuits. Je ne sens jamais précisément le moment où je m’endors ; mon sommeil est absolument sans rêves. Je ne peux imaginer que par conjectures combien de temps j’ai dormi. Je suis mort régulièrement six heures en vingt-quatre. C’est le quart de ma vie. »