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ÂME.

Le même Gassendi, dans sa Philosophie d’Épicure, répète plusieurs fois qu’il n’y a aucune évidence mathématique de la pure spiritualité de l’âme.

Descartes, dans une de ses lettres à la princesse palatine Élisabeth, lui dit : « Je confesse que par la seule raison naturelle nous pouvons faire beaucoup de conjectures sur l’âme, et avoir de flatteuses espérances, mais non pas aucune assurance. » Et en cela Descartes combat dans ses lettres ce qu’il avance dans ses livres ; contradiction trop ordinaire.

Enfin nous avons vu que tous les Pères des premiers siècles de l’Église, en croyant l’âme immortelle, la croyaient en même temps matérielle ; ils pensaient qu’il est aussi aisé à Dieu de conserver que de créer. Ils disaient : « Dieu la fit pensante, il la conservera pensante. »

Malebranche a prouvé très bien que nous n’avons aucune idée par nous-mêmes, et que les objets sont incapables de nous en donner : de là il conclut que nous voyons tout en Dieu. C’est au fond la même chose que de faire Dieu l’auteur de toutes nos idées : car avec quoi verrions-nous dans lui, si nous n’avions pas des instruments pour voir ? et ces instruments, c’est lui seul qui les tient et qui les dirige. Ce système est un labyrinthe, dont une allée vous mènerait au spinosisme, une autre au stoïcisme, et une autre au chaos.

Quand on a bien disputé sur l’esprit, sur la matière, on finit toujours par ne se point entendre. Aucun philosophe n’a pu lever par ses propres forces ce voile que la nature a étendu sur tous les premiers principes des choses ; ils disputent, et la nature agit.


SECTION III[1].


DE L’ÂME DES BÊTES, ET DE QUELQUES IDÉES CREUSES.


Avant l’étrange système qui suppose les animaux de pures machines sans aucune sensation, les hommes n’avaient jamais imaginé dans les bêtes une âme immatérielle ; et personne n’avait poussé la témérité jusqu’à dire qu’une huître possède une âme spirituelle. Tout le monde s’accordait paisiblement à convenir que les bêtes avaient reçu de Dieu du sentiment, de la mémoire, des idées, et non pas un esprit pur. Personne n’avait abusé du don de raisonner au point de dire que la nature a donné aux

  1. Questions sur l’Encyclopédie, 1770. (B.)