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ÂME.

cause de la digestion et la cause de leurs sensations et de leur mémoire ?

Voilà l’éternel objet des disputes des hommes : je dis l’éternel objet, car, n’ayant point de notion primitive dont nous puissions descendre dans cet examen, nous ne pouvons que rester à jamais dans un labyrinthe de doutes et de faibles conjectures.

Nous n’avons pas le moindre degré où nous puissions poser le pied pour arriver à la plus légère connaissance de ce qui nous fait vivre et de ce qui nous fait penser. Comment en aurions-nous ? il faudrait avoir vu la vie et la pensée entrer dans un corps. Un père sait-il comment il a produit son fils ? une mère sait-elle comment elle l’a conçu ? Quelqu’un a-t-il jamais pu deviner comment il agit, comment il veille, et comment il dort ? Quelqu’un sait-il comment ses membres obéissent à sa volonté ? a-t-il découvert par quel art des idées se tracent dans son cerveau et en sortent à son commandement ? Faibles automates mus par la main invisible qui nous dirige sur cette scène du monde, qui de nous a pu apercevoir le fil qui nous conduit ?

Nous osons mettre en question si l’âme intelligente est esprit ou matière ; si elle est créée avant nous ; si elle sort du néant dans notre naissance ; si après nous avoir animés un jour sur la terre, elle vit après nous dans l’éternité. Ces questions paraissent sublimes ; que sont-elles ? des questions d’aveugles qui disent à d’autres aveugles : Qu’est-ce que la lumière ?

Quand nous voulons connaître grossièrement un morceau de métal, nous le mettons au feu dans un creuset. Mais avons-nous un creuset pour y mettre l’âme ? Elle est esprit, dit l’un. Mais qu’est-ce qu’esprit ? personne assurément n’en sait rien ; c’est un mot si vide de sens qu’on est obligé de dire ce que l’esprit n’est pas, ne pouvant dire ce qu’il est. L’âme est matière, dit l’autre. Mais qu’est-ce que matière ? nous n’en connaissons que quelques apparences et quelques propriétés ; et nulle de ces propriétés, nulle de ces apparences ne paraît avoir le moindre rapport avec la pensée.

C’est quelque chose de distinct de la matière, dites-vous ? Mais quelle preuve en avez-vous ? Est-ce parce que la matière est divisible et figurable, et que la pensée ne l’est pas ? Mais qui vous a dit que les premiers principes de la matière sont divisibles et figurables ? Il est très vraisemblable qu’ils ne le sont point ; des sectes entières de philosophes prétendent que les éléments de la matière n’ont ni figure ni étendue. Vous criez d’un air triomphant : La pensée n’est ni du bois, ni de la pierre, ni du sable, ni du métal ; donc la pensée n’appartient pas à la matière. Faibles et