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AMAZONES.

tête des armées, les combattants se parlent souvent assez longtemps avant que d’en venir aux mains ; et c’est ce qui justifie Homère sans doute.

Thomas, gouverneur de Syrie, gendre d’Héraclius, attaque Sergiabil dans une sortie de Damas ; il fait d’abord une prière à Jésus-Christ : « Injuste agresseur, dit-il ensuite à Sergiabil, tu ne résisteras pas à Jésus mon Dieu, qui combattra pour les vengeurs de sa religion. — Tu profères un mensonge impie, lui répond Sergiabil ; Jésus n’est pas plus grand devant Dieu qu’Adam : Dieu l’a tiré de la poussière ; il lui a donné la vie comme à un autre homme, et après l’avoir laissé quelque temps sur la terre, il l’a enlevé au ciel[1]. »

Après de tels discours le combat commence ; Thomas tire une flèche qui va blesser le jeune Aban, fils de Saïb, à côté du vaillant Sergiabil ; Aban tombe et expire : la nouvelle en vole à sa jeune épouse, qui n’était unie à lui que depuis quelques jours. Elle ne pleure point, elle ne jette point de cris ; mais elle court sur le champ de bataille, le carquois sur l’épaule et deux flèches dans les mains : de la première qu’elle tire, elle jette par terre le porte-étendard des chrétiens ; les Arabes s’en saisissent en criant allah achar ; de la seconde, elle perce un œil de Thomas, qui se retire tout sanglant dans la ville.

L’histoire arabe est pleine de ces exemples ; mais elle ne dit point que ces femmes guerrières se brûlassent le téton droit pour mieux tirer de l’arc, encore moins qu’elles vécussent sans hommes ; au contraire, elles s’exposaient dans les combats pour leurs maris ou pour leurs amants, et de cela même on doit conclure que loin de faire des reproches à l’Arioste et au Tasse d’avoir introduit tant d’amantes guerrières dans leurs poëmes, on doit les louer d’avoir peint des mœurs vraies et intéressantes.

Il y eut en effet, du temps de la folie des croisades, des femmes chrétiennes qui partagèrent avec leurs maris les fatigues et les dangers : cet enthousiasme fut porté au point que les Génoises entreprirent de se croiser, et d’aller former en Palestine des bataillons de jupes et de cornettes ; elles en firent un vœu dont elles furent relevées par un pape plus sage qu’elles.

Marguerite d’Anjou, femme de l’infortuné Henri VI, roi d’Angleterre, donna dans une guerre plus juste des marques d’une

  1. C’est la croyance des mahométans. La doctrine des chrétiens basilidiens avait depuis longtemps cours en Arabie. Les basilidiens disaient que Jésus-Christ n’avait pas été crucifié. (Note de Voltaire.)