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ALMANACH.

la fois dans la mer. Il est très vraisemblable que l’empereur Kang-hi s’en moquait tout autant que Fontenelle. Quelque Messager boiteux de la Chine s’était égayé apparemment à parler de ces feux follets comme le peuple, et à les prendre pour des étoiles. Chaque pays a ses sottises. Toute l’antiquité a fait coucher le soleil dans la mer ; nous y avons envoyé les étoiles fort longtemps. Nous avons cru que les nuées touchaient au firmament, que le firmament était fort dur, et qu’il portait un réservoir d’eau. Il n’y a pas bien longtemps qu’on sait dans les villes que le fil de la Vierge, qu’on trouve souvent dans la campagne, est un fil de toile d’araignée. Ne nous moquons de personne. Songeons que les Chinois avaient des astrolabes et des sphères avant que nous sussions lire ; et que s’ils n’ont pas poussé fort loin leur astronomie, c’est par le même respect pour les anciens que nous avons eu pour Aristote.

Il est consolant de savoir que le peuple romain, populus late rex[1], fut en ce point fort au-dessous de Matthieu Laensberg, et du Messager boiteux, et des astrologues de la Chine, jusqu’au temps où Jules César réforma l’année romaine que nous tenons de lui, et que nous appelons encore de son nom Kalendrier Julien, quoique nous n’ayons pas de kalendes, et quoiqu’il ait été obligé de le réformer lui-même.

Les premiers Romains avaient d’abord une année de dix mois, faisant trois cent quatre jours : cela n’était ni solaire ni lunaire, cela n’était que barbare. On fit ensuite l’année romaine de trois cent cinquante-cinq jours : autre mécompte que l’on corrigea comme on put, et qu’on corrigea si mal que du temps de César les fêtes d’été se célébraient en hiver. Les généraux romains triomphaient toujours ; mais ils ne savaient pas quel jour ils triomphaient.

César réforma tout ; il sembla gouverner le ciel et la terre.

Je ne sais par quelle condescendance pour les coutumes romaines il commença l’année au temps où elle ne commence point, huit jours après le solstice d’hiver. Toutes les nations de l’empire romain se soumirent à cette innovation. Les Égyptiens, qui étaient en possession de donner la loi en fait d’almanach, la reçurent ; mais tous ces différents peuples ne changèrent rien à la distribution de leurs fêtes. Les Juifs, comme les autres, célébrèrent leurs nouvelles lunes, leur phasé ou pascha, le quatorzième jour de la lune de mars, qu’on appelle la lune rousse ; et

  1. Virgile, Énéide, I, 25 : populum late regem.