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ALGER.

aventures. Sa pyramide érigée à Rome, la préséance qu’il se fit céder, l’idée d’avoir un port auprès d’Alger pour brider ses pirateries, étaient encore de ce genre. Il y était encore excité par le pape Alexandre VII ; et le cardinal Mazarin, avant sa mort, lui avait inspiré ce dessein. Il avait même longtemps balancé s’il irait à cette expédition en personne, à l’exemple de Charles-Quint ; mais il n’avait pas assez de vaisseaux pour exécuter une si grande entreprise, soit par lui-même, soit par ses généraux. Elle fut infructueuse, et devait l’être. Du moins elle aguerrit sa marine, et fit attendre de lui quelques-unes de ces actions nobles et héroïques auxquelles la politique ordinaire n’était point accoutumée, telles que les secours désintéressés donnés aux Vénitiens assiégés dans Candie, et aux Allemands pressés par les armes ottomanes à Saint-Gothard.

Les détails de cette expédition d’Afrique se perdent dans la foule des guerres heureuses ou malheureuses faites avec politique ou avec imprudence, avec équité ou avec injustice. Rapportons seulement cette lettre, écrite il y a quelques années à l’occasion des pirateries d’Alger :

« Il est triste, monsieur, qu’on n’ait point écouté les propositions de l’ordre de Malte, qui offrait, moyennant un subside médiocre de chaque État chrétien, de délivrer les mers des pirates d’Alger, de Maroc et de Tunis. Les chevaliers de Malte seraient alors véritablement les défenseurs de la chrétienté. Les Algériens n’ont actuellement que deux vaisseaux de cinquante canons, et cinq d’environ quarante, quatre de trente ; le reste ne doit pas être compté.

« Il est honteux qu’on voie tous les jours leurs petites barques enlever nos vaisseaux marchands dans toute la Méditerranée. Ils croisent même jusqu’aux Canaries, et jusqu’aux Açores.

« Leurs milices, composées d’un ramas de nations, anciens Mauritaniens, anciens Numides, Arabes, Turcs, Nègres même, s’embarquent presque sans équipages sur des chebecs de dix-huit à vingt pièces de canon ; ils infestent toutes nos mers comme des vautours qui attendent une proie. S’ils voient un vaisseau de guerre, ils s’enfuient ; s’ils voient un vaisseau marchand, ils s’en emparent ; nos amis, nos parents, hommes et femmes, deviennent esclaves, et il faut aller supplier humblement les barbares de daigner recevoir notre argent pour nous rendre leurs captifs.

« Quelques États chrétiens ont la honteuse prudence de traiter avec eux, et de leur fournir des armes avec lesquelles ils