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ALEXANDRIE.

C’est le sujet de cette fameuse lettre de l’empereur Adrien au consul Servianus, rapportée par Vopiscus[1].

« J’ai vu cette Égypte que vous me vantiez tant, mon cher Servien ; je la sais tout entière par cœur. Cette nation est légère, incertaine, elle vole au changement. Les adorateurs de Sérapis se font chrétiens ; ceux qui sont à la tête de la religion du Christ se font dévots à Sérapis. Il n’y a point d’archirabbin juif, point de samaritain, point de prêtre chrétien qui ne soit astrologue, ou devin, ou baigneur (c’est-à-dire entremetteur). Quand le patriarche grec[2] vient en Égypte, les uns s’empressent auprès de lui pour lui faire adorer Sérapis, les autres le Christ. Ils sont tous très séditieux, très vains, très querelleurs. La ville est commerçante, opulente, peuplée ; personne n’y est oisif. Les uns y soufflent le verre, les autres fabriquent le papier ; ils semblent être de tout métier, et en sont en effet. La goutte aux pieds et aux mains même ne les peut réduire à l’oisiveté. Les aveugles y travaillent ; l’argent est un dieu que les chrétiens, les juifs, et tous les hommes, servent également, etc. »


Voici le texte latin de cette lettre :

Adriani epistola ex libris Phlegontis liberti ejus prodita.


Adrianus Aug. Serviano Cos. S.


« Ægyptum quam mihi laudabas, Serviane charissime, totam didici, levem, pendulam, et ad omnia famæ momenta volitantem. Illi qui Serapin colunt christiani sunt ; et devoti sunt Serapi, qui se Christi episcopos dicunt. Nemo illic archisynagogus Judæorum, nemo Samarites, nemo christianorum presbyter, non mathematicus, non aruspex, non aliptes. Ipse ille patriarcha, quum Egyptum venerit, ab aliis Serapidem adorare, ab aliis cogitur Christum. Genus hominum seditiosissimum, vanissimum, injuriosissimum : civitas opulenta, dives, fœcunda, in qua nemo

  1. Tome II, page 406. (Note de Voltaire.)
  2. On traduit ici patriarcha, terme grec, par ces mots patriarche grec, parce qu’il ne peut convenir qu’à l’hiérophante des principaux mystères grecs. Les chrétiens ne commencèrent à connaître le mot de patriarche qu’au Ve siècle. Les Romains, les Égyptiens, les Juifs, ne connaissaient point ce titre. (Id.)