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ALEXANDRE.

alla punir Jérusalem, qui n’était pas loin de sa route. Les Juifs, conduits par leur grand-prêtre, vinrent s’humilier devant lui et donner de l’argent : car on n’apaise qu’avec de l’argent les conquérants irrités. Alexandre s’apaisa ; ils demeurèrent sujets d’Alexandre ainsi que de ses successeurs. Voilà l’histoire vraie et vraisemblable.

Rollin répète un étrange conte rapporté environ quatre cents ans après l’expédition d’Alexandre par l’historien romancier, exagérateur, Flavien Josèphe (liv. II, chap. viii), à qui l’on peut pardonner de faire valoir dans toutes les occasions sa malheureuse patrie. Rollin dit donc[1], après Josèphe, que le grand-prêtre Jaddus s’étant prosterné devant Alexandre, ce prince ayant vu le nom de Jehova gravé sur une lame d’or attachée au bonnet de Jaddus, et entendant parfaitement l’hébreu, se prosterne à son tour et adore Jaddus. Cet excès de civilité ayant étonné Parménion, Alexandre lui dit qu’il connaissait Jaddus depuis longtemps ; qu’il lui était apparu il y avait dix années, avec le même habit et le même bonnet, pendant qu’il rêvait à la conquête de l’Asie, conquête à laquelle il ne pensait point alors ; que ce même Jaddus l’avait exhorté à passer l’Hellespont, l’avait assuré que son Dieu marcherait à la tête des Grecs, et que ce serait le Dieu des Juifs qui le rendrait victorieux des Perses.

Ce conte de vieille serait bon dans l’histoire des Quatre fils Aymon et de Robert le Diable ; mais il figure mal dans celle d’Alexandre. C’était une entreprise très utile à la jeunesse qu’une Histoire ancienne bien rédigée ; il eût été à souhaiter qu’on ne l’eût point gâtée quelquefois par de telles absurdités. Le conte de Jaddus serait respectable, il serait hors de toute atteinte, s’il s’en trouvait au moins quelque ombre dans les livres sacrés ; mais comme ils n’en font pas la plus légère mention, il est très permis d’en faire sentir le ridicule.

On ne peut douter qu’Alexandre n’ait soumis la partie des Indes qui est en deçà du Gange, et qui était tributaire des Perses. M. Holwell, qui a demeuré trente ans chez les brames de Bénarès et des pays voisins, et qui avait appris non seulement leur langue moderne, mais leur ancienne langue sacrée, nous assure que leurs annales attestent l’invasion d’Alexandre, qu’ils appellent Mahadukoit Kounha, grand brigand, grand meurtrier. Ces peuples pacifiques ne pouvaient l’appeler autrement, et il est à croire qu’ils ne donnèrent pas d’autres surnoms aux rois de Perse, Ces

  1. Histoire ancienne, livre XV, paragraphe 6. Voyez aussi tome XI, page 132.