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AIR


SECTION II[1].
vapeurs, exhalaisons.

Je suis comme certains hérétiques : ils commencent par proposer modestement quelques difficultés ; ils finissent par nier hardiment de grands dogmes.

J’ai d’abord rapporté avec candeur les scrupules de ceux qui doutent que l’air existe. Je m’enhardis aujourd’hui, j’ose regarder l’existence de l’air comme une chose peu probable.

1° Depuis que je rendis compte de l’opinion qui n’admet que des vapeurs, j’ai fait ce que j’ai pu pour voir de l’air, et je n’ai jamais vu que des vapeurs grises, blanchâtres, bleues, noirâtres, qui couvrent tout mon horizon ; jamais on ne m’a montré d’air pur. J’ai toujours demandé pourquoi on admettait une matière invisible, impalpable, dont on n’avait aucune connaissance ?

2° On m’a toujours répondu que l’air est élastique. Mais qu’est-ce que l’élasticité ? c’est la propriété d’un corps fibreux de se remettre dans l’état dont vous l’avez tiré avec force. Vous avez courbé cette branche d’arbre, elle se relève ; ce ressort d’acier que vous avez roulé se détend de lui-même : propriété aussi commune que l’attraction et la direction de l’aimant, et aussi inconnue. Mais votre élément de l’air est élastique, selon vous, d’une tout autre façon. Il occupe un espace prodigieusement plus grand que celui dans lequel vous l’enfermiez, dont il s’échappe. Des physiciens ont prétendu que l’air peut se dilater dans la proportion d’un à quatre mille[2] ; d’autres ont voulu qu’une bulle d’air pût s’étendre quarante-six milliards de fois.

Je demanderais alors ce qu’il deviendrait ? à quoi il serait bon ? quelle force aurait cette particule d’air au milieu des milliards de particules de vapeurs qui s’exhalent de la terre, et des milliards d’intervalles qui les séparent ?

3° S’il existe de l’air, il faut qu’il nage dans la mer immense des vapeurs qui nous environnent, et que nous touchons au doigt et à l’œil. Or les parties d’un air ainsi interceptées, ainsi plongées

  1. Dans la première partie des Questions sur l’Encyclopédie, il n’y avait point ici de seconde section : ce qu’on y lit aujourd’hui formait, dans la neuvième partie, publiée en 1772, un article particulier, intituléVapeurs, Exhalaisons. (B.)
  2. Voyez Musschenbroeck, chapitre de l’air. (Note de Voltaire.)