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AIR.
RAISONS DE CEUX QUI NIENT L’AIR.


Tout ceci posé, les philosophes qui nient l’air disent : Pourquoi attribuerons-nous à un élément inconnu et invisible des effets que l’on voit continuellement produits par ces exhalaisons visibles et palpables ?

L’air est élastique, nous dit-on ; mais les vapeurs de l’eau seule le sont souvent bien davantage. Ce que vous appelez l’élément de l’air, pressé dans une canne à vent, ne porte une balle qu’à une très petite distance ; mais dans la pompe à feu des bâtiments d’York, à Londres, les vapeurs font un effet cent fois plus violent.

On ne dit rien de l’air, continuent-ils, qu’on ne puisse dire de même des vapeurs du globe ; elles pèsent comme lui, s’insinuent comme lui, allument le feu par leur souffle, se dilatent, se condensent de même.

La grande objection que l’on fasse contre le système des exhalaisons du globe est qu’elles perdent leur élasticité dans la pompe à feu quand elles sont refroidies, au lieu que l’air est, dit-on, toujours élastique. Mais, premièrement, il n’est pas vrai que l’élasticité de l’air agisse toujours ; son élasticité est nulle quand on le suppose en équilibre, et sans cela il n’y a point de végétaux et d’animaux qui ne crevassent et n’éclatassent en cent morceaux, si cet air qu’on suppose être dans eux conservait son élasticité. Les vapeurs n’agissent point quand elles sont en équilibre ; c’est leur dilatation qui fait leurs grands effets. En un mot, tout ce qu’on attribue à l’air semble appartenir sensiblement, selon ces philosophes, aux exhalaisons de notre globe.

Si on leur fait voir que le feu s’éteint quand il n’est pas entretenu par l’air, ils répondent qu’on se méprend, qu’il faut à un flambeau des vapeurs sèches et élastiques pour nourrir sa flamme, qu’elle s’éteint sans leur secours, ou quand ces vapeurs sont trop grasses, trop sulfureuses, trop grossières, et sans ressort. Si on leur objecte que l’air est quelquefois pestilentiel, c’est bien plutôt des exhalaisons qu’on doit le dire : elles portent avec elles des parties de soufre, de vitriol, d’arsenic, et de toutes les plantes nuisibles. On dit : L’air est pur dans ce canton ; cela signifie : Ce canton n’est point marécageux ; il n’a ni plantes, ni minières pernicieuses dont les parties s’exhalent continuellement dans les corps des animaux. Ce n’est point l’élément prétendu de l’air qui rend la campagne