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SUITE DES FOLIES.


pour enregistrer sous le nom de royale ce qu’on n’avait pas voulu enregistrer sous le nom de vacations.

Tous ces petits subterfuges compromettaient la dignité de la couronne. Le lieutenant civil enregistra du très-exprès commandement du roi[1].

On ne délibéra point. Tout Paris s’obstina à tourner la chambre royale en ridicule ; elle s’y accoutuma si bien, qu’elle-même s’assembla quelquefois en riant, et qu’elle plaisantait de ses arrêts.

Il arriva cependant une affaire sérieuse. Je ne sais quel fripon, nommé Sandrin, ayant été condamné à être pendu par le Châtelet, en appela à la chambre royale, qui confirma la sentence. Le Châtelet prétendit qu’on ne devait en appeler qu’au parlement, et refusa de pendre le coupable. Le rapporteur de cette cause criminelle, nommé Milon, fut mis à la Bastille pour n’avoir point fait pendre Sandrin. Le Châtelet alors cessa ses fonctions comme le parlement[2] ; il n’y eut plus aucune justice dans Paris. Aussitôt lettres de cachet au Châtelet pour rendre la justice ; enlèvement de trois conseillers des plus ardents. La moitié de Paris riait, et l’autre moitié murmurait. Les convulsionnaires protestaient que ces démêlés finiraient tragiquement ; et ce qu’on appelle à Paris la bonne compagnie assurait que tout cela ne serait jamais qu’une mauvaise farce.

Les autres parlements imitaient celui de Paris ; et partout où il y avait des refus de sacrements il y avait des arrêts, et ces arrêts étaient cassés ; le Châtelet de Paris était rempli de confusion, la chambre royale presque oisive, le parlement exilé, et cependant tout était tranquille. La police agissait, les marchés se tenaient avec ordre, le commerce florissait, les spectacles réjouissaient la ville, l’impossibilité de faire juger des procès obligeait les plaideurs de s’accommoder ; on prenait des arbitres au lieu de juges.

Pendant que la magistrature était ainsi avilie, le clergé triomphait. Tous les prêtres bannis par le parlement revenaient ; les curés décrétés exerçaient leurs fonctions ; l’esprit du ministère alors était de favoriser l’Église contre le parlement, parce que jusque-là on ne pouvait accuser l’archevêque de Paris d’avoir désobéi au roi, et on reprochait au parlement des désobéissances formelles. Cependant toute la cour s’empressa de négocier, parce qu’elle n’avait rien à faire. Il fallait mettre fin à cette espèce

  1. 20 novembre. (Note de Voltaire.)
  2. 27 novembre. (Id.)