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CHAPITRE LXIV.


Enfin ils furent mandés à Versailles par une lettre de cachet[1]. Le chancelier d’Aguesseau les réprimanda au nom du roi, et leur ordonna de biffer sur les registres tout ce qu’ils avaient arrêté au sujet des disputes présentes ; il acheva, par cet acte de soumission au cardinal, de se décréditer dans tous les esprits qui lui avaient été si longtemps favorables. Le parlement reçut ordre de ne se mêler en aucune manière des affaires ecclésiastiques ; elles furent toutes évoquées au conseil. Par là le cardinal Fleury semblait supprimer et aurait supprimé en effet, s’il l’avait pu, les appels comme d’abus, le seul rempart des libertés de l’Église gallicane[2], et l’un des plus anciens priviléges de la nation et du parlement. Le cardinal Mazarin n’aurait jamais osé faire cette démarche, le cardinal de Richelieu ne l’aurait pas voulu ; le cardinal Fleury la fit comme une chose simple et ordinaire.

Le parlement, étonné, s’assembla[3]. Il déclara qu’il n’administrerait plus la justice si l’on en détruisait ainsi les premiers fondements. Des députés allèrent à Compiègne, où était le roi. Le premier président voulut parler, le roi le fit taire.

L’abbé Pucelle eut le courage de présenter la délibération par écrit ; le roi la prit, et la fit déchirer par le comte de Maurepas, secrétaire d’État. L’abbé Pucelle fut exilé, et le conseiller Titon envoyé à la Bastille.

Nouvelle députation du parlement pour redemander les conseillers Pucelle et Titon. La députation se présenta à Compiègne.

Pour réponse[4], le cardinal fit exiler le président Ogier, les conseillers de Vrevin, Robert et de La Fautrière. Les partisans de la bulle abusèrent de leur triomphe. Un archevêque d’Arles outragea tous les parlements du royaume dans son instruction pastorale[5] : il les traita de séditieux et de rebelles. On n’avait jamais vu auparavant des chansons dans un mandement d’évêque : celui d’Arles[6] fit voir cette nouveauté. Il y avait dans ce mandement une chanson contre le parlement de Paris, qui finissait par ces vers :

Thémis, j’implore ta vengeance
Contre ce rebelle troupeau.

  1. 10 janvier 1732. (Note de Voltaire.)
  2. Voyez tome XII, page 23 ; tome XV, page 479 ; et le mot Abus, dans le Dictionnaire philosophique.
  3. 13 mai 1732. (Note de Voltaire.)
  4. Juin 1732. (Id.)
  5. 5 septembre 1732. (Id.)
  6. C’était Jacques Forbin de Janson, sacré en 1711, mort le 13 janvier 1741.