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CHAPITRE LXII.


Cet enregistrement, tout équivoque qu’il était, satisfit la cour. Le cardinal de Noailles se rétracta solennellement, Rome fut contente, le parlement revint à Paris : Dubois fut bientôt après cardinal et premier ministre ; et pendant son ministère tout fut ridicule et tranquille.

L’excès de ce ridicule fut porté au point que l’assemblée du clergé de 1721 donna publiquement à un savetier[1] une pension pour avoir crié dans son quartier en faveur de la bulle Unigenitus.

Il y a seulement à remarquer que lorsque Dubois fut cardinal et premier ministre, en 1722, le duc d’Orléans lui fit prendre la première place après les princes du sang au conseil du roi. Les cardinaux de Richelieu et de Mazarin avaient osé précéder les princes, mais ces exemples odieux n’étaient plus suivis ; et c’était beaucoup que les cardinaux, qui n’ont qu’une dignité étrangère, siégeassent avant les pairs du royaume, les maréchaux de France et le chancelier, qui appartiennent à la nation. Le jour que Dubois vint prendre séance[2], le duc de Noailles, les maréchaux de Villeroi et de Villars, sortirent, le chancelier d’Aguesseau s’absenta. On négocia selon la coutume ; chaque parti fit des mémoires. Le chancelier et le duc de Noailles tinrent ferme, D’Aguesseau soutint mieux les prérogatives de sa place contre Dubois, qu’il n’en avait maintenu la dignité lorsqu’il revint à Paris à la suite de l’Écossais Lass. Le résultat fut qu’on l’envoya une seconde fois à sa terre de Frêne ; et il eut alors si peu de considération qu’il ne fut pas même rappelé sous les ministères suivants, qu’il ne reparut à la cour que sous le cardinal de Fleury, et ne reprit les sceaux qu’en 1737, dix ans après son rappel.

Pour le duc de Noailles, le cardinal Dubois eut le plaisir de l’exiler pour quelque temps dans la petite ville ou bourg de Brive-la-Gaillarde en Limousin. Dubois était fils d’un apothicaire de Brive-la-Gaillarde. Le duc de Noailles ne l’avait épargné ni sur sa patrie ni sur sa naissance, et le cardinal lui rendit ses plaisanteries en le confinant auprès de la boutique de son père.

Après Dubois, qui mourut en philosophe[3], et qui était après tout un homme d’esprit, le duc d’Orléans, qui lui ressemblait par ces deux côtés, daigna être premier ministre lui-même. Il ne persécuta personne pour la bulle ; le parlement n’eut avec lui aucun démêlé.

  1. Il s’appelait Nutelet. (Note de Voltaire.)
  2. 22 février 1722. (Id.)
  3. C’est-à-dire sans les sacrements de l’Église ; voyez page 68.