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SECONDE PARTIE. — CHAPITRE XVII.


la gloire, mais qu’il l’avait mise à faire du bien, que ses défauts n’avaient jamais affaibli ses grandes qualités, qu’en lui l’homme eut ses taches, et que le monarque fut toujours grand. Il a forcé la nature en tout, dans ses sujets, dans lui-même, et sur la terre, et sur les eaux ; mais il l’a forcée pour l’embellir. Les arts, qu’il a transplantés de ses mains dans des pays dont plusieurs alors étaient sauvages, ont, en fructifiant, rendu témoignage à son génie, et éternisé sa mémoire ; ils paraissent aujourd’hui originaires des pays mêmes où il les a portés. Lois, police, politique, discipline militaire, marine, commerce, manufactures, sciences, beaux-arts, tout s’est perfectionné selon ses vues ; et, par une singularité dont il n’est point d’exemple, ce sont quatre femmes, montées après lui successivement sur le trône, qui ont maintenu tout ce qu’il acheva, et ont perfectionné tout ce qu’il entreprit.

Le palais a eu des révolutions après sa mort ; l’État n’en a éprouvé aucune, La splendeur de cet empire s’est augmentée sous Catherine Ire ; il a triomphé des Turcs et des Suédois sous Anne Pétrowna ; il a conquis, sous Élisabeth, la Prusse et une partie de la Poméranie ; il a joui d’abord de la paix, et il a vu fleurir les arts sous Catherine II. C’est aux historiens nationaux d’entrer dans tous les détails des fondations, des lois, des guerres, et des entreprises de Pierre le Grand ; ils encourageront leurs compatriotes en célébrant tous ceux qui ont aidé ce monarque dans ses travaux guerriers et politiques. Il suffit à un étranger, amateur désintéressé du mérite, d’avoir essayé de montrer ce que fut le grand homme qui apprit de Charles XII à le vaincre, qui sortit deux fois de ses États pour les mieux gouverner, qui travailla de ses mains à presque tous les arts nécessaires, pour en donner l’exemple à son peuple, et qui fut le fondateur et le père de son empire.

Les souverains des États depuis longtemps policés se diront à eux-mêmes : « Si, dans les climats glacés de l’ancienne Scythie, un homme, aidé de son seul génie, a fait de si grandes choses, que devons-nous faire dans des royaumes où les travaux accumulés de plusieurs siècles nous ont rendu tout facile ? »

FIN DE L HISTOIRE DE PIERRE LE GRAND.