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SECONDE PARTIE. — CHAPITRE XVII.


comme une cérémonie, et non comme un droit de régner : elle rappelait les exemples des empereurs romains qui avaient fait couronner leurs épouses, et aucune d’elles ne fut maîtresse de l’empire. Enfin, dans le temps même de la maladie de Pierre, plusieurs crurent que la princesse Anne Pétrowna lui succéderait conjointement avec le duc de Holstein son époux, ou que l’empereur nommerait son petit-fils pour son successeur : ainsi, bien loin que Catherine eût intérêt à la mort de l’empereur, elle avait besoin de sa conservation.

Il était constant que Pierre était attaqué depuis longtemps d’un abcès et d’une rétention d’urine qui lui causait des douleurs aiguës[1]. Les eaux minérales d’Olonitz, et d’autres qu’il mit en usage, ne furent que d’inutiles secours : on le vit s’affaiblir sensiblement depuis le commencement de l’année 1724. Ses travaux, dont il ne se relâcha jamais, augmentèrent son mal et hâtèrent sa fin : son état parut bientôt mortel[2] ; il ressentit des chaleurs brûlantes qui le jetaient dans un délire presque continuel : il voulut écrire dans un moment d’intervalle que lui laissèrent ses douleurs[3], mais sa main ne forma que des caractères inlisibles, dont on ne put déchiffrer que ces mots en russe : Rendez tout à

Il cria qu’on fit venir la princesse Anne Pétrowna, à laquelle il voulait dicter ; mais lorsqu’elle parut devant son lit, il avait déjà perdu la parole, et il tomba dans une agonie qui dura seize heures. L’impératrice Catherine n’avait pas quitté son chevet depuis trois nuits ; il mourut enfin entre ses bras, le 28 janvier, vers les quatre heures du matin.

On porta son corps dans la grand’salle du palais, suivi de toute la famille impériale, du sénat, de toutes les personnes de la première distinction, et d’une foule de peuple : il fut exposé sur un lit de parade, et tout le monde eut la liberté de l’approcher, et de lui baiser la main jusqu’au jour de son enterrement, qui se fit le 10/21 mars 1725.

On a cru, on a imprimé qu’il avait nommé son épouse Catherine héritière de l’empire par son testament ; mais la vérité est qu’il n’avait point fait de testament[4], ou que du moins il n’en a

  1. Il était atteint d’une maladie honteuse, contre laquelle il luttait en secret depuis quatre ans. (G. A.)
  2. Janvier 1725. (Note de Voltaire.)
  3. Mémoires et manuscrits du comte de Bassevitz. (Id.)
  4. M. A.-A. Renouard, dans son édition des Œuvres de Voltaire, rapporte le passage suivant, extrait des Mémoires d’un voyageur qui se repose (par Dutens) :

    « Parlant un jour avec lui (le marquis de Breille) de la mort de Pierre le Grand,