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SECONDE PARTIE. — CHAPITRE XVII.


de capitaine d’une nouvelle compagnie qu’-il créa sous le nom de chevaliers de l’impératrice.

Quand on fut arrivé à l’église, Pierre lui posa la couronne sur la tête ; elle voulut lui embrasser les genoux ; il l’en empêcha, et, au sortir de la cathédrale, il fit porter le sceptre et le globe devant elle. La fête fut digne en tout d’un empereur. Pierre étalait dans les occasions d’éclat autant de magnificence qu’il mettait de simplicité dans sa vie privée[1].

Ayant couronné sa femme, il se résolut enfin à donner sa fille aînée, Anne Pétrowna, au duc de Holstein. Cette princesse avait beaucoup des traits de son père ; elle était d’une taille majestueuse et d’une grande beauté. On la fiança au duc de Holstein[2], mais sans grand appareil. Pierre sentait déjà sa santé très-altérée, et un chagrin domestique, qui peut-être aigrit encore le mal dont il mourut, rendit ces derniers temps de sa vie peu convenables à la pompe des fêtes.

Catherine avait un jeune chambellan[3], nommé Moëns de La Croix, né en Russie d’une famille flamande : il était d’une figure distinguée : sa sœur, Mme  de Balc, était dame d’atour de l’impératrice : tous deux gouvernaient sa maison. On les accusa l’un et l’autre auprès de l’empereur : ils furent mis en prison, et on leur fit leur procès pour avoir reçu des présents[4]. Il avait été défendu, dès l’an 1714, à tout homme en place d’en recevoir, sous peine d’infamie et de mort ; et cette défense avait été plusieurs fois renouvelée.

Le frère et la sœur furent convaincus : tous ceux qui avaient ou acheté ou récompensé leurs services furent nommés dans la sentence, excepté le duc de Holstein et son ministre, le comte de Bassevitz : il est vraisemblable même que des présents faits par ce prince à ceux qui avaient contribué à faire réussir son mariage ne furent pas regardés comme une chose criminelle.

Moëns fut condamné à perdre la tête[5], et sa sœur, favorite de l’impératrice, à recevoir onze coups de knout. Les deux fils de cette dame, l’un chambellan, et l’autre page, furent dégradés et envoyés, en qualité de simples soldats, dans l’armée de Perse.

  1. Il n’appela point de députés à ce couronnement, qu’il accomplit de son autorité propre.
  2. 24 novembre 1724. (Note de Voltaire.)
  3. Mémoires du comte de Bassevitz. (Id.)
  4. Voltaire, comme on voit, laisse deviner le crime d’adultère, et s’en tient à l’accusation qu’on imagina pour sauver l’honneur du czar. (G. A.)
  5. Pierre conduisit sa femme au pied de l’échafaud où était exposée la tête.