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SECONDE PARTIE. — CHAPITRE XVI.


sa coutume, il rendit solennellement compte de son expédition au vice-czar Romanodowski, continuant jusqu’au bout cette singulière comédie qui, selon ce qui est dit dans son éloge prononcé à Paris à l’Académie des sciences[1], aurait dû être jouée devant tous les monarques de la terre.

La Perse était encore partagée entre Hussein et l’usurpateur Mahmoud : le premier cherchait à se faire un appui de l’empereur de Russie ; le second craignait en lui un vengeur qui lui arracherait le fruit de sa rébellion. Mahmoud fit ce qu’il put pour soulever la Porte-Ottomane contre Pierre : il envoya une ambassade à Constantinople ; les princes du Daguestan, sous la protection du Grand Seigneur, dépouillés par les armes de la Russie, demandèrent vengeance. Le divan craignit pour la Géorgie, que les Turcs comptaient au nombre de leurs États.

Le Grand Seigneur fut près de déclarer la guerre. La cour de Vienne et celle de Paris l’en empêchèrent. L’empereur d’Allemagne notifia que si les Turcs attaquaient la Russie il serait obligé de la défendre. Le marquis de Bonac, ambassadeur de France à Constantinople, appuya habilement par ses représentations les menaces des Allemands : il fit sentir que c’était même l’intérêt de la Porte de ne pas souffrir qu’un rebelle usurpateur de la Perse enseignât à détrôner les souverains ; que l’empereur russe n’avait fait que ce que le Grand Seigneur aurait dû faire.

Pendant ces négociations délicates, le rebelle Myr Mahmoud s’était avancé aux portes de Derbent : il ravagea les pays voisins, afin que les Russes n’eussent pas de quoi subsister. La partie de l’ancienne Hyrcanie aujourd’hui Guilan fut saccagée, et ces peuples, désespérés, se mirent d’eux-mêmes sous la protection des Russes, qu’ils regardèrent comme leurs libérateurs.

Ils suivaient en cela l’exemple du sophi même. Ce malheureux monarque avait envoyé un ambassadeur à Pierre le Grand pour implorer solennellement son secours. À peine cet ambassadeur fut-il en route que le rebelle Myr Mahmoud se saisit d’Ispahan et de la personne de son maître.

Le fils du sophi détrôné et prisonnier, nommé Thamaseb, échappa au tyran, rassembla quelques troupes, et combattit l’usurpateur. Il ne fut pas moins ardent que son père à presser Pierre le Grand de le protéger, et envoya à l’ambassadeur les mêmes instructions que Sha-Hussein avait données.

Cet ambassadeur persan, nommé Ismaël-Beg, n’était pas encore

  1. Par Fontenelle.