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SECONDE PARTIE. — CHAPITRE XVI.


sur le rivage de la mer d’Hyrcanie ; mais quelques Géorgiens, autrefois espèces de chrétiens, avaient bâti cette ville, et les Persans l’avaient fortifiée : elle fut aisément prise. De là on s’avança toujours par terre dans le Daguestan ; on répandit des manifestes en persan et en turc : il était nécessaire de ménager la Porte-Ottomane, qui comptait parmi ses sujets non-seulement les Circasses et les Géorgiens, voisins de ce pays, mais encore quelques grands vassaux, rangés depuis peu sous la protection de la Turquie.

Entre autres il y en avait un fort puissant, nommé Mahmoud d’Utmich, qui prenait le titre de sultan, et qui osa attaquer les troupes de l’empereur russe ; il fut défait entièrement, et la relation porte qu’on fit de son pays un feu de joie.

Bientôt Pierre arriva à Derbent[1] que les Persans et les Turcs appellent Demircapi, la porte de fer : elle est ainsi nommée, parce qu’en effet il y avait une porte de fer du côté du midi. C’est une ville longue et étroite, qui se joint par en haut à une branche escarpée du Caucase, et dont les murs sont baignés, à l’autre bout, par les vagues de la mer, qui s’élèvent souvent au-dessus d’eux dans les tempêtes. Ces murs pourraient passer pour une merveille de l’antiquité, hauts de quarante pieds et larges de six, flanqués de tours carrées à cinquante pieds l’une de l’autre : tout cet ouvrage paraît d’une seule pièce ; il est bâti de grès et de coquillages broyés qui ont servi de mortier, et le tout forme une masse plus dure que le marbre : on peut y entrer par mer ; mais la ville, du côté de terre, paraît inexpugnable. Il reste encore les débris d’une ancienne muraille semblable à celle de la Chine, qu’on avait bâtie dans les temps de la plus haute antiquité ; elle était prolongée des bords de la mer Caspienne à ceux de la mer Noire, et c’était probablement un rempart élevé par les anciens rois de Perse contre cette foule de hordes barbares qui habitaient entre ces deux mers.

La tradition persane porte que la ville de Derbent fut en partie réparée et fortifiée par Alexandre. Arrien, Quinte-Curce, disent qu’en effet Alexandre fit relever cette ville : ils prétendent, à la vérité, que ce fut sur les bords du Tanaïs : mais c’est que, de leur temps, les Grecs donnaient le nom de Tanaïs au fleuve Cyrus, qui passe auprès de la ville. Il serait contradictoire qu’Alexandre eût bâti la porte Caspienne sur un fleuve dont l’embouchure est dans le Pont-Euxin.

Il y avait autrefois trois ou quatre portes caspiennes en différents passages, toutes vraisemblablement construites dans la même

  1. 14 septembre 1722. (Note de Voltaire.)