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SECONDE PARTIE. — CHAPITRE X.


rière dans sa cellule. Un officier, nommé Étienne Glebo, fut introduit dans le couvent. Eudoxie en fit l’instrument de ses desseins, et rattacha à elle par ses faveurs. Glebo répand dans la petite ville de Susdal et dans les environs la prédiction de Dozithée. Cependant les trois mois s’écoulèrent. Eudoxie reproche à l’évêque que le czar est encore en vie. Les péchés de mon père en sont cause, dit Dozithée ; il est en purgatoire, et il m’en a averti. Aussitôt Eudoxie fait dire mille messes des morts ; Dozithée l’assure qu’elles opèrent. Il vient au bout d’un mois lui dire que son père a déjà la tête hors du purgatoire ; un mois après, le défunt n’en a plus que jusqu’à la ceinture ; enfin il ne tient plus au purgatoire que par les pieds, et quand les pieds seront dégagés, ce qui est le plus difficile, le czar Pierre mourra infailliblement.

La princesse Marie, persuadée par Dozithée, se livra à lui, à condition que le père du prophète sortirait incessamment du purgatoire, et que la prédiction s’accomplirait ; et Glebo continua son commerce avec l’ancienne czarine.

Ce fut principalement sur la foi de ces prédictions que le czarovitz s’évada, et alla attendre la mort de son père dans les pays étrangers. Tout cela fut bientôt découvert. Dozithée et Glebo furent arrêtés ; les lettres de la princesse Marie à Dozithée, et d’Hélène à Glebo, furent lues en plein sénat. La princesse Marie fut enfermée à Schlusselbourg ; l’ancienne czarine, transférée dans un autre couvent, où elle fut prisonnière ; Dozithée et Glebo, tous les complices de cette vaine et superstitieuse intrigue, furent appliqués à la question, ainsi que les confidents de l’évasion d’Alexis. Son confesseur, son gouverneur, son maréchal de cour, moururent tous dans les supplices. »

On voit donc à quel prix cher et funeste Pierre le Grand acheta le bonheur qu’il procura à ses peuples ; combien d’obstacles publics et secrets il eut à surmonter au milieu d’une guerre longue et difficile, des ennemis au dehors, des rebelles au dedans, la moitié de sa famille animée contre lui, la plupart des prêtres obstinément déclarés contre ses entreprises, presque toute la nation irritée longtemps contre sa propre félicité, qui ne lui était pas encore sensible ; des préjugés à détruire dans les têtes, le mécontentement à calmer dans les cœurs. Il fallait qu’une génération nouvelle, formée par ses soins, embrassât enfin les idées de bonheur et de gloire que n’avaient pu supporter leurs pères[1].

  1. Cette histoire a été écrite d’après des Mémoires et des pièces originales envoyés de Russie. On voit que le czar a fait condamner son fils par des esclaves