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CONDAMNATION D’ALEXIS PÉTROVITZ.
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père dénaturé et parricide. Philippe se laissa accuser, et garda le silence. Pierre, au contraire, ne fit rien qu’au grand jour, publia hautement qu’il préférait sa nation à son propre fils, s’en remit au jugement du clergé et des grands, et rendit le monde entier juge des uns et des autres, et de lui-même.

Ce qu’il y eut encore d’extraordinaire dans cette fatalité, c’est que la czarine Catherine, haïe du czarovitz et menacée ouvertement du sort le plus triste si jamais ce prince régnait, ne contribua pourtant en rien à son malheur, et ne fut ni accusée, ni même soupçonnée par aucun ministre étranger résident à cette cour, d’avoir fait la plus légère démarche contre un beau-fils dont elle avait tout à craindre. Il est vrai qu’on ne dit point qu’elle ait demandé grâce pour lui ; mais tous les Mémoires de ce temps-là, surtout ceux du comte de Cassevitz, assurent unanimement qu’elle plaignit son infortune.

J’ai en main les Mémoires d’un ministre public, où je trouve ces propres mots : « J’étais présent quand le czar dit au duc de Holstein que Catherine l’avait prié d’empêcher qu’on ne prononçât au czarovitz sa condamnation. « Contentez-vous, me dit-elle, de lui faire prendre le froc, parce que cet opprobre d’un arrêt de mort signifié rejaillira sur votre petit-fils. »

Le czar ne se rendit point aux prières de sa femme ; il crut qu’il était important que la sentence fut prononcée publiquement au prince, afin qu’après cet acte solennel il ne pût jamais revenir contre un arrêt auquel il avait acquiescé lui-même, et qui, le rendant mort civilement, le mettrait pour jamais hors d’état de réclamer la couronne.

Cependant, après la mort de Pierre, si un parti puissant se fût élevé en faveur d’Alexis, cette mort civile l’aurait-elle empêché de régner ?

L’arrêt fut prononcé au prince. Les mêmes Mémoires m’apprennent qu’il tomba en convulsion à ces mots : « Les lois divines et ecclésiastiques, civiles et militaires, condamnent à mort, sans miséricorde, ceux dont les attentats contre leur père et leur souverain sont manifestes. » Ses convulsions se tournèrent, dit-on, en apoplexie ; on eut peine à le faire revenir. Il reprit un peu ses sens, et, dans cet intervalle de vie et de mort, il fit prier son père de venir le voir. Le czar vint ; les larmes coulèrent des yeux du père et du fils infortuné ; le condamné demanda pardon, le père pardonna publiquement. L’extrême-onction fut administrée solennellement au malade agonisant. Il mourut en présence de toute la cour, le lendemain de cet arrêt funeste. Son corps fut