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SECONDE PARTIE. — CHAPITRE X.

touchent point. Je me suis déterminé à vous écrire encore pour la dernière fois. Si vous méprisez mes avis de mon vivant, quel cas en ferez-vous après ma mort ? Quand vous auriez présentement la volonté d’être fidèle à vos promesses, ces grandes barbes pourront vous tourner à leur fantaisie, et vous forceront à les violer… Ces gens-là ne s’appuient que sur vous. Vous n’avez aucune reconnaissance pour celui qui vous a donné la vie. L’assistez-vous dans ses travaux depuis que vous êtes parvenu à un âge mûr ? ne blâmez-vous pas, ne détestez-vous pas tout ce que je peux faire pour le bien de mes peuples ? J’ai sujet de croire que, si vous me survivez, vous détruirez mon ouvrage. Corrigez-vous, rendez-vous digne de la succession, ou faites-vous moine. Répondez, soit par écrit, soit de vive voix ; sinon, j’agirai avec vous comme avec un malfaiteur. »

Cette lettre était dure ; il était aisé au prince de répondre qu’il changerait de conduite ; mais il se contenta de répondre en quatre lignes à son père qu’il voulait se faire moine.

Cette résolution ne paraissait pas naturelle, et il paraît étrange que le czar voulût voyager en laissant dans ses États un fils si mécontent et si obstiné ; mais aussi ce voyage même prouve que le czar ne voyait pas de conspiration à craindre de la part de son fils.

Il alla le voir avant de partir pour l’Allemagne et pour la France ; le prince, malade, ou feignant de l’être, le reçut au lit, et lui confirma, par les plus grands serments, qu’il voulait se retirer dans un cloître. Le czar lui donna six mois pour se consulter, et partit avec son épouse.

À peine fut-il à Copenhague qu’il apprit (ce qu’il pouvait présumer) qu’Alexis ne voyait que des mécontents qui flattaient ses chagrins. Il lui écrivit qu’il eût à choisir du couvent ou du trône, et que s’il voulait un jour lui succéder, il fallait qu’il vînt le trouver à Copenhague.

Les confidents du prince lui persuadèrent qu’il serait dangereux pour lui de se trouver loin de tout conseil entre un père irrité et une marâtre. Il feignit donc d’aller trouver son père à Copenhague ; mais il prit le chemin de Vienne, et alla se mettre entre les mains de l’empereur Charles VI, son beau-frère, comptant y demeurer jusqu’à la mort du czar.

C’était à peu près la même aventure que celle de Louis XI lorsque, étant encore dauphin, il quitta la cour du roi Charles VII, son père, et se retira chez le duc de Bourgogne. Le dauphin était bien plus coupable que le czarovitz, puisqu’il s’était marié malgré