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SECONDE PARTIE. — CHAPITRE X.


les préjugés de son pays, et incapable de se mettre au-dessus d’eux comme son époux. Les plus grandes contradictions qu’il éprouva, quand il voulut créer un empire et former des hommes, vinrent de sa femme : elle était dominée par la superstition, si souvent attachée à son sexe. Toutes les nouveautés utiles lui semblaient des sacriléges, et tous les étrangers dont le czar se servait pour exécuter ses grands desseins lui paraissaient des corrupteurs.

Ses plaintes publiques encourageaient les factieux et les partisans des anciens usages. Sa conduite d’ailleurs ne réparait pas des fautes si graves. Enfin le czar fut obligé de la répudier en 1696, et de l’enfermer dans un couvent, à Susdal, où on lui fit prendre le voile sous le nom d’Hélène.

Le fils qu’elle lui avait donné en 1690 naquit malheureusement avec le caractère de la mère, et ce caractère se fortifia par la première éducation qu’il reçut. Mes Mémoires disent qu’elle fut confiée à des superstitieux qui lui gâtèrent l’esprit pour jamais. Ce fut en vain qu’on crut corriger ces premières impressions, en lui donnant des précepteurs étrangers ; cette qualité même d’étrangers le révolta. Il n’était pas né sans ouverture d’esprit ; il parlait et écrivait bien l’allemand ; il dessinait ; il apprit un peu de mathématiques ; mais ces mêmes Mémoires qu’on m’a confiés assurent que la lecture des livres ecclésiastiques fut ce qui le perdit. Le jeune Alexis crut voir dans ces livres la réprobation de tout ce que faisait son père. Il y avait des prêtres à la tête des mécontents, et il se laissa gouverner par les prêtres.

Ils lui persuadaient que toute la nation avait les entreprises de Pierre en horreur ; que les fréquentes maladies du czar ne lui promettaient pas une longue vie, que son fils ne pouvait espérer de plaire à la nation qu’en marquant son aversion pour les nouveautés. Ces murmures et ces conseils ne formaient pas une faction ouverte, une conspiration ; mais tout semblait y tendre, et les esprits étaient échauffés.

Le mariage de Pierre avec Catherine, en 1707, et les enfants qu’il eut d’elle, achevèrent d’aigrir l’esprit du jeune prince. Pierre tenta tous les moyens de le ramener ; il le mit même à la tête de la régence pendant une année ; il le fit voyager ; il le maria en 1711, à la fin de la campagne du Pruth, avec la princesse de Volfenbuttel, ainsi que nous l’avons rapporté[1]. Ce mariage fut très-malheureux. Alexis, âgé de vingt-deux ans, se livra à toutes les débauches de la jeunesse, et à toute la grossièreté des anciennes

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