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SECONDE PARTIE. — CHAPITRE IX.


tisé tant de rois. Le czar vengeait en riant vingt empereurs d’Allemagne, dix rois de France, et une foule de souverains. C’est là tout le fruit que la Sorbonne recueillit de l’idée peu politique de réunir les Églises grecque et latine.

Le voyage du czar en France fut plus utile par son union avec ce royaume commerçant et peuplé d’hommes industrieux, que par la prétendue réunion de deux Églises rivales, dont l’une maintiendra toujours son antique indépendance, et l’autre sa nouvelle supériorité.

Pierre ramena à sa suite plusieurs artisans français, ainsi qu’il en avait amené d’Angleterre : car toutes les nations chez lesquelles il voyagea se firent un honneur de le seconder dans son dessein de porter tous les arts dans une patrie nouvelle, et de concourir à cette espèce de création.

Il minuta dès lors un traité de commerce avec la France, et le remit entre les mains de ses ministres en Hollande, dès qu’il y fut de retour. Il ne put être signé par l’ambassadeur de France Châteauneuf que le 15 août 1717, à la Haye. Ce traité ne concernait pas seulement le commerce, il regardait la paix du Nord. Le roi de France, l’électeur de Brandebourg, acceptèrent le titre de médiateurs qu’il leur donna. C’était assez faire sentir au roi d’Angleterre qu’il n’était pas content de lui, et c’était combler les espérances de Görtz, qui mit dès lors tout en œuvre pour réunir Pierre et Charles, pour susciter à George de nouveaux ennemis, et pour prêter la main au cardinal Albéroni d’un bout de l’Europe à l’autre. Le baron de Görtz vit alors publiquement à la Haye les ministres du czar ; il leur déclara qu’il avait un plein pouvoir de conclure la paix de la Suède.

Le czar laissait Görtz préparer toutes leurs batteries sans y toucher, prêt à faire la paix avec le roi de Suède, mais aussi à continuer la guerre ; toujours lié avec le Danemark, la Pologne, la Prusse, et même en apparence avec l’électeur d’Hanovre.

Il paraît évidemment qu’il n’avait d’autre dessein arrêté que celui de profiter des conjonctures. Son principal objet était de perfectionner tous ses nouveaux établissements. Il savait que les négociations, les intérêts des princes, leurs ligues, leurs amitiés, leurs défiances, leurs inimitiés, éprouvent presque tous les ans des vicissitudes, et que souvent il ne reste aucune trace de tant d’efforts de politique. Une seule manufacture bien établie fait quelquefois plus de bien à un État que vingt traités.

Pierre ayant rejoint sa femme, qui l’attendait en Hollande, continua ses voyages avec elle. Ils traversèrent ensemble la Vest-