Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome16.djvu/577

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
567
RÉCEPTION DE PIERRE EN FRANCE.


les honneurs qu’on lui rendait. Le cérémonial consistait à faire pour un grand monarque et pour un grand homme tout ce qu’il eût désiré lui-même s’il avait fait attention à ces détails. Il s’en faut beaucoup que les voyages des empereurs Charles IV, Sigismond, et Charles V, en France, aient eu une célébrité comparable à celle du séjour qu’y fit Pierre le Grand : ces empereurs n’y vinrent que par des intérêts de politique, et n’y parurent pas dans un temps où les arts perfectionnés pussent faire de leur voyage une époque mémorable ; mais quand Pierre le Grand alla dîner chez le duc d’Antin, dans le palais de Pétitbourg, à trois lieues de Paris, et qu’à la fin du repas il vit son portrait qu’on venait de peindre, placé tout d’un coup dans la salle, il sentit que les Français savaient mieux qu’aucun peuple du monde recevoir un hôte si digne.

Il fut encore plus surpris lorsque, allant voir frapper des médailles dans cette longue galerie du Louvre où tous les artistes du roi sont honorablement logés, une médaille qu’on frappait étant tombée, et le czar s’empressant de la ramasser, il se vit gravé sur cette médaille, avec une renommée sur le revers, posant un pied sur le globe, et ces mots de Virgile, si convenables à Pierre le Grand, vires acquirit cundo : allusion également fine et noble, et également convenable à ses voyages et à sa gloire ; on lui présenta de ces médailles d’or, à lui et à tous ceux qui l’accompagnaient. Allait-il chez des artistes, on mettait à ses pieds tous les chefs-d’œuvre, et on le suppliait de daigner les recevoir ; allait-il voir les hautes-lices des Gobelins, les tapis de la Savonnerie, les ateliers des sculpteurs, des peintres, des orfèvres du roi, des fabricateurs d’instruments de mathématiques : tout ce qui semblait mériter son approbation lui était offert de la part du roi.

Pierre était mécanicien, artiste, géomètre. Il alla à l’Académie des sciences, qui se para pour lui de tout ce qu’elle avait de plus rare ; mais il n’y eut rien d’aussi rare que lui-même : il corrigea de sa main plusieurs fautes de géographie dans les cartes qu’on avait de ses États, et surtout dans celle de la mer Caspienne. Enfin, il daigna être un des membres de cette Académie, et entretint depuis une correspondance suivie d’expériences et de découvertes avec ceux dont il voulait bien être le simple confrère. Il faut remonter aux Pythagore et aux Anacharsis pour trouver de tels voyageurs, et ils n’avaient pas quitté un empire pour s’instruire.

On ne peut s’empêcher de remettre ici sous les yeux du lecteur ce transport dont il fut saisi en voyant le tombeau du cardinal de Richelieu : peu frappé de la beauté de ce chef-d’œuvre de sculpture,