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SECONDE PARTIE. — CHAPITRE V.


son vainqueur. Quand on fut arrivé au trône, où le vice-czar était, l’amiral Apraxin lui présenta le contre-amiral Pierre, qui demanda à être créé vice-amiral pour prix de ses services : on alla aux voix, et l’on croit bien que toutes les voix lui furent favorables.

Après cette cérémonie, qui comblait de joie tous les assistants et qui inspirait à tout le monde l’émulation, l’amour de la patrie et celui de la gloire, le czar prononça ce discours, qui mérite de passer à la dernière postérité :

« Mes frères, est-il quelqu’un de vous qui eût pensé, il y a vingt ans, qu’il combattrait avec moi sur la mer Baltique dans des vaisseaux construits par vous-mêmes, et que nous serions établis dans ces contrées conquises par nos fatigues et par notre courage ?… On place l’ancien siége des sciences dans la Grèce ; elles s’établirent ensuite dans l’Italie, d’où elles se répandirent dans toutes les parties de l’Europe ; c’est à présent notre tour, si vous voulez seconder mes desseins, enjoignant l’étude à l’obéissance. Les arts circulent dans le monde, comme le sang dans le corps humain ; et peut-être ils établiront leur empire parmi nous pour retourner dans la Grèce, leur ancienne patrie. J’ose espérer que nous ferons un jour rougir les nations les plus civilisées, par nos travaux et par notre solide gloire. »

C’est là le précis véritable de ce discours digne d’un fondateur. Il a été énervé dans toutes les traductions ; mais le plus grand mérite de cette harangue éloquente est d’avoir été prononcée par un monarque victorieux, fondateur et législateur de son empire.

Les vieux boïards écoutèrent cette harangue avec plus de regret pour leurs anciens usages que d’admiration pour la gloire de leur maître ; mais les jeunes en furent touchés jusqu’aux larmes.

Ces temps furent encore signalés par l’arrivée des ambassadeurs russes qui revinrent de Constantinople avec la confirmation de la paix avec les Turcs[1]. Un ambassadeur de Perse était arrivé quelque temps auparavant de la part de Cha-Ussin ; il avait amené au czar un éléphant et cinq lions. Il reçut en même temps une ambassade du kan des Usbecks, Mehemet Bahadir, qui lui demandait sa protection contre d’autres Tartares. Du fond de l’Asie et de l’Europe, tout rendait hommage à sa gloire.

La régence de Stockholm, désespérée de l’état déplorable de ses affaires, et de l’absence de son roi, qui abandonnait le soin de ses États, avait pris enfin la résolution de ne le plus consulter ;

  1. 15 décembre 1714. (Note de Voltaire.)