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SECONDE PARTIE. — CHAPITRE V.


bourg, tenait tous ses alliés attachés à sa fortune et à sa personne, quoiqu’ils eussent tous des intérêts divers et des vues opposées. Sa flotte menaçait à la fois toutes les côtes de la Suède, sur les golfes de Finlande et de Bothnie.

L’un de ses généraux de terre, le prince Gallitzin, formé par lui-même comme ils l’étaient tous, avançait d’Elsingford, où le czar avait débarqué, jusqu’au milieu des terres, vers le bourg de Tavastus : c’était un poste qui couvrait la Bothnie. Quelques régiments suédois, avec huit mille hommes de milice, le défendaient. Il fallut livrer une bataille ; les Russes la gagnèrent entièrement[1] ; ils dissipèrent toute l’armée suédoise, et pénétrèrent jusqu’à Vasa : de sorte qu’ils furent les maîtres de quatre-vingts lieues de pays.

Il restait aux Suédois une armée navale avec laquelle ils tenaient la mer. Pierre ambitionnait depuis longtemps de signaler la marine qu’il avait créée. Il était parti de Pétersbourg, et avait rassemblé une flotte de seize vaisseaux de ligne, cent quatre-vingts galères propres à manœuvrer à travers les rochers qui entourent l’île d’Aland, et les autres îles de la mer Baltique non loin du rivage de la Suède, vers laquelle Il rencontra la flotte suédoise. Cette flotte était plus forte en grands vaisseaux que la sienne, mais inférieure en galères, plus propre à combattre en pleine mer qu’à travers des rochers. C’était une supériorité que le czar ne devait qu’à son seul génie. Il servait dans sa flotte en qualité de contre-amiral, et recevait les ordres de l’amiral Apraxin. Pierre voulait s’emparer de l’île d’Aland, qui n’est éloignée de la Suède que de douze lieues. Il fallait passer à la vue de la flotte des Suédois : ce dessein hardi fut exécuté ; les galères s’ouvrirent le passage sous le canon ennemi, qui ne plongeait pas assez. On entra dans Aland, et comme cette côte est hérissée d’écueils presque tout entière, le czar fit transporter à bras quatre-vingts petites galères par une langue de terre, et on les remit à flot dans la mer qu’on nomme de Hango, où étaient ses gros vaisseaux. Ehrensköld, contre-amiral des Suédois, crut qu’il allait prendre aisément ou couler à fond ces quatre-vingts galères : il avança de ce côté pour les reconnaître : mais il fut reçu avec un feu si vif qu’il vit tomber presque tous ses soldats et tous ses matelots. On lui prit les galères et les prames qu’il avait amenées, et le vaisseau qu’il montait ; il se sauvait dans une chaloupe[2], mais il y fut blessé : enfin, obligé de se rendre, on l’amena sur la galère où le czar

  1. 13 mars 1714. (Note de Voltaire.)
  2. 8 août. (Id.)