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SECONDE PARTIE. — CHAPITRE IV.


en Poméranie, qu’elle était prête à se dissiper faute de paye, que le seul allié de la France allait perdre des provinces dont la conservation était nécessaire à la balance générale ; qu’à la vérité Charles XII, dans ses victoires, avait trop négligé le roi de France ; mais que la générosité de Louis XIV était aussi grande que les malheurs de Charles. Le ministre français fit voir au Suédois l’impuissance où l’on était de secourir son maître, et Sparre désespérait du succès.

Un particulier de Paris fit ce que Sparre désespérait d’obtenir. Il y avait à Paris un banquier, nommé Samuel Bernard, qui avait fait une fortune prodigieuse, tant par les remises de la cour dans les pays étrangers que par d’autres entreprises ; c’était un homme enivré d’une espèce de gloire rarement attachée à sa profession, qui aimait passionnément toutes les choses d’éclat, et qui savait que tôt ou tard le ministère de France rendait avec avantage ce qu’on hasardait pour lui. Sparre alla dîner chez lui, il le flatta, et au sortir de table le banquier fit délivrer au comte de Sparre six cent mille livres ; après quoi il alla chez le ministre, marquis de Torcy, et lui dit : «J’ai donné en votre nom deux cent mille écus à la Suède ; vous me les ferez rendre quand vous pourrez. »

Le comte de Stenbock, général de l’armée de Charles, n’attendait pas un tel secours ; il voyait ses troupes sur le point de se mutiner, et, n’ayant à leur donner que des promesses, voyant grossir l’orage autour de lui, craignant enfin d’être enveloppé par trois armées de Russes, de Danois, de Saxons, il demanda un armistice, jugeant que Stanislas allait abdiquer, qu’il fléchirait la hauteur de Charles XII, qu’il fallait au moins gagner du temps, et sauver ses troupes par les négociations. Il envoya donc un courrier à Bender, pour représenter au roi l’état déplorable de ses finances, de ses affaires et de ses troupes, et pour l’instruire qu’il se voyait forcé à cet armistice qu’il serait trop heureux d’obtenir. Il n’y avait pas trois jours que ce courrier était parti, et Stanislas ne l’était pas encore, quand Stenbock reçut les deux cent mille écus du banquier de Paris : c’était alors un trésor prodigieux dans un pays ruiné. Fort de ce secours avec lequel on remédie à tout, il encouragea son armée, il eut des munitions, des recrues ; il se vit à la tête de douze mille hommes, et, renonçant à toute suspension d’armes, il ne chercha plus qu’à combattre.

C’était ce même Stenbock qui, en 1710, après la défaite de Pultava, avait vengé la Suède sur les Danois dans une irruption qu’ils avaient faite en Scanie : il avait marché contre eux avec de simples milices qui n’avaient que des cordes pour bandoulières, et avait